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Attention pavé ! La Guerre et la Paix – Léon Tolstoï

C’est une lecture qui commence par un défi.

Car franchement, qui, aujourd’hui, peut avoir l’envie spontanée de lire un tel pavé sur la Russie du XIXème siècle et ses combats contre l’Ogre Napoléonien ? 1243 pages dans cette version, dite moins dense et plus romanesque de l’œuvre de Tolstoï !

Un défi donc ! Lire un gros classique, histoire de se coucher moins bête… La Guerre et la Paix est celui qui me vient en premier à l’esprit. Malheur ! Dans quoi me suis-je embarquée ? D’autant plus que j’essaie toujours de terminer un livre, même lorsque la lecture en est pénible.

La paix, les personnages

J’attaque les premières pages avec un enthousiasme un peu forcé. Et voici que défilent les bals et les dîners, les princes et les comtesses aux noms capricieux. Je farfouille sur le web à la recherche de quelques explications : l’auteur prend un malin plaisir à multiplier les dénominations. Les personnages sont tantôt désignés par leurs prénoms et leurs multiples variantes (Natacha = Nathalia = Nathalie), tantôt par leur nom de famille, tantôt par le prénom du père auquel on appose un suffixe qui lui-même a plusieurs versions.

Mal de tête…

Il me faut un carnet et un stylo. Je bâtis une généalogie repère qui me servira tout au long du livre. Première difficulté vaincue. J’apprends au passage que les russes de l’époque (nous sommes en 1805), ceux de la haute société, parlent français. C’est la langue incontournable dans les salons mondains.

« Il continuait de parler en français, ne prononçant en russe que les mots qu’il voulait souligner de son mépris. »

Finalement, la lecture n’est pas si difficile. Les chapitres sont très courts et le style abordable. Et puis, cette histoire d’héritage et de manipulation, ça commence à devenir intéressant…

La guerre, la victoire de l’Ogre

Deuxième partie, cette fois, c’est la guerre ! Nous rejoignons l’armée russe, ses soldats, ses officiers, plus ou moins habiles et courageux. Pour profiter pleinement du spectacle, nouveau détour par Internet. Je trouve une ou deux cartes illustrant les campagnes napoléoniennes histoire de visualiser les champs de bataille. Et là, il faut bien le dire, un certain suspense s’installe.

Me voilà prise dans l’histoire, partie à la découverte des personnages réels qui croisent la route des héros de fiction, admirant au passage la maîtrise stratégique de l’empereur français. Je foule l’herbe d’Austerlitz, observe l’incurie des généraux austro-russes et assiste à leur terrible défaite. A ce propos, Tolstoï nous offre une phrase aussi majestueuse que la bataille :

« De même que dans une horloge le résultat de ces mouvements innombrables et complexes est un déplacement lent et régulier de l’aiguille qui indique le temps, le résultat de tous ces mouvements humains complexes de ces cent soixante mille Russes et Français, de toutes les passions, des désirs, des repentirs, des humiliations, de l’orgueil, des souffrances, des peurs et des enthousiasmes de ces hommes, fut la défaite d’Austerlitz, la bataille dite des trois empereurs, autrement dit un lent déplacement de l’aiguille de l’histoire universelle sur le cadran de l’histoire de l’humanité. »

C’est l’occasion de découvrir Napoléon Bonaparte que je connais bien mal, ses victoires, ses défaites. Un empereur vu de l’extérieur, longuement décrit, critiqué, parfois même admiré par ses ennemis. Le moins que l’on puisse dire est que ce diable d’homme a suscité bien des débats, et le roman n’en fait pas l’économie :

« Toute la force de cet homme réside dans son mépris pour les idées et dans le mensonge. Il suffit de convaincre tout le monde que nous sommes toujours vainqueurs et nous vaincrons. »

« Il n’arrivait pas à croire qu’il s’agissait de Napoléon, le vainqueur d’Austerlitz. Il le voyait de si près, c’était donc un homme ; il montait fort mal et était assis sur son cheval (ce qui frappait n’importe quel cavalier) Mais où était sa grandeur ? »

Tour à tour désigné comme « chef de guerre », « homme génial », « héros », « mauvais tacticien », « Antéchrist », « dragon », ou bien « traître à la révolution », haï ou adulé, il est omniprésent dans l’œuvre malgré de rares apparitions directes.

Ses campagnes sont le premier bouleversement auquel nos héros de fiction auront à faire face, une sorte de combat des « forces de la révolution contre les défenseurs de l’ordre ancien ».

La paix, une période de mutations

Au long de ces centaines de pages, nous suivons principalement de jeunes aristocrates issus de cinq familles russes, qui se croisent et interagissent.

Après la guerre revient la paix et son lot de mutations sociales :

« Nous ne comprenons pas l’époque que nous vivons maintenant. »

Les péripéties ne manquent pas : manipulations, duels, tromperies, aussi bien qu’amour sincère, repentir et esprit de sacrifice. Les personnages ne sont jamais lisses, ni totalement purs, ni totalement mauvais. Ils cherchent désespérément leur place, un sens à leur existence, au sein de cette époque malmenée. Ils sont authentiques.

Il y a le jeune homme sympathique mais constamment indécis, « à quoi bon ? », maladroit, influençable et incapable d’agir ;

L’ambitieux, intelligent, qui se plie à toutes les conventions pour mieux progresser dans l’étrange hiérarchie de la haute société ;

Le héros sincère et beau, réformateur et efficace, trop souvent abattu par la nostalgie et les désillusions ;

La belle insouciante, narcissique, qui fait tourner les têtes et dont la seule peur est de devenir adulte ;

Le faible enfin, lâche à ses heures, progressant un peu par hasard mais sachant aussi reconnaître ses fautes.

Pas un d’entre eux ne restera indemne. Tous évolueront au gré des évènements et de leurs réflexions.

La guerre, cette ineptie

L’œuvre se termine sur la débâcle française. La roue a tourné et Napoléon est en déroute. Où donc est passée sa maîtrise stratégique ? Tolstoï nous livre son opinion sur cette chose profondément amorale et pourtant « éternelle et inévitable » qu’est la guerre. Il brosse un bien triste tableau de ces grands chefs de guerre, qu’ils soient français, russes ou allemands. Selon lui, ils ne maîtrisent rien, ne comprennent rien, ne sont pas plus libres qu’un cheval attaché à une roue mobile.

« La chose militaire relève (…) des lois inéluctables de la fourmilière qui gouvernent l’humanité, elle exclut tout libre arbitre personnel et toute connaissance des buts qu’elle poursuit. »

Toute l’action des soldats ne consiste qu’à faire en sorte que l’ennemi ait peur le premier et s’enfuie. Ils ne ressentent le besoin d’égorger que lorsque l’horreur touche les civils et leurs proches. Tout le reste n’est que mensonge. Les causes de la guerre ne sont que prétextes. Les tactiques sont inopérantes sur un champ de bataille où tout se passe dans l’instant. Les héros sont fabriqués après-coup par les historiens.

« Il avait peur, une peur irrépressible d’être tué, et il était incapable de retourner là où il courait un danger. »

Les personnages du roman traversent ce chaos et s’en trouvent irrémédiablement changés. De toutes ces épreuves ne restent finalement qu’amour du prochain et compassion.

C’est un peu groggy mais ravie que je referme ce pavé, finalement englouti en moins d’un mois. Défi relevé. J’ai découvert une époque révolue, une contrée lointaine, une pensée actuelle. « La guerre et la paix » est une fresque riche en couleurs, en fureurs et passions. Un roman que l’on pourrait bien transposer à notre époque : des champs de bataille et hommes politiques avec d’autres noms, mais des motivations et une impuissance toutes similaires ?

Difficulté de lecture : ***

La Guerre et la Paix est pour vous si :

  • Vous aimez l’histoire et les épopées militaires ;
  • Vous n’avez pas peur de lire avec un carnet de notes à portée de main. Vous pouvez opter pour une lecture en deux temps pour ne pas risquer la lassitude que ne manquera pas de s’installer après quelques centaines de pages ;
  • Vous êtes curieux des forces, des sentiments, des fantasmes qui régissent les relations humaines, à l’échelle individuelle… ou nationale !

Le petit plus : cette œuvre est une mine de mots curieux, spécifiques, parfois désuets. Vous enrichirez votre vocabulaire militaire, lié à l’époque (cosaque, shako, uhlan, sabretache, havresac, hussard). Vous apprendrez le cri de guerre des armées russes (Hourra !). Vous croiserez nombre de ces termes que l’on comprend sans pouvoir en donner une définition précise. Et quelques originalités oubliées. Ma préférée : une « bas-bleu », mot masculin, désignant pourtant une femme, pédante et se piquant de littérature sans rien y comprendre. Molière aurait sans doute parlé d’une précieuse ridicule…

***

La Guerre et la Paix – Léon Tolstoï
Paru aux éditions Points
ISBN : 978-2-7578-1971-5
1243 pages
Traduit du russe par Bernard Kreise
Titre original : Voina i Mir
Littérature russe

Rien ne s’oppose à la nuit – Delphine de Vigan

Voici une histoire de famille, une autobiographie particulière, l’exercice d’écriture le plus difficile selon l’auteur. Il s’agit ici de raconter sa propre mère. C’est ce qu’entreprend Delphine de Vigan en retraçant l’histoire de Lucile et de son étonnante famille.

L’auteur mène une véritable enquête parmi ses proches afin de retracer le parcours d’une mère si difficile à cerner. Elle cherche à comprendre et retrouver les racines du mal qui touche Lucile, diagnostiquée bipolaire et internée à plusieurs reprises.

Le récit est touchant sans être larmoyant. Delphine de Vigan nous livre une description remarquable de cette famille nombreuse, marquée par la mort et la complexité des liens qui en unissent les membres ou les séparent. Petit à petit les secrets s’effleurent, se dévoilent ou s’enfouissent, malmenant Lucile et ses enfants. Cette femme malade se bat, plonge, refait surface, sombre à nouveau.

Mais ce qui fait l’originalité du livre est sans doute le fait que l’auteur partage son cheminement d’écriture à mesure que progresse l’histoire. Cette dernière est entrecoupée de ses doutes et ses interrogations sur cette entreprise intime et les raisons pour lesquelles elle écrit.

Au-delà de l’aspect dramatique et unique du récit, ce questionnement ne peut qu’interpeller quiconque a un jour tenté d’écrire sur ses proches. C’est ce qui m’a personnellement touchée, et ce que je retiens de cette lecture, parmi les différents thèmes abordés.

Comment écrire sans trahir ceux qui ne sont plus là pour témoigner ?

« Je perçois chaque jour qui passe combien il m’est difficile d’écrire ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlé de son enfance. Elle ne racontait pas. »

Quelle forme choisir afin de rester fidèle à la réalité sans nuire à la fluidité du récit ?

« Incapable de m’affranchir tout à fait du réel, je produis une fiction involontaire, je cherche l’angle qui me permettra de m’approcher encore, plus près, je cherche un espace qui ne serait ni la vérité ni la fable, mais les deux à la fois. »

Comment se tenir à l’écart d’interprétations forcément subjectives ?

« […] toute tentative d’explication est vouée à l’échec. Ainsi devrai-je me contenter d’en écrire des bribes, des fragments, des hypothèses.

L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser des questions et d’interroger la mémoire. »

Comment ne pas blesser ceux qui restent lorsque l’on aborde les épisodes douloureux ?

« Ecrire sur sa famille est sans aucun doute le moyen le plus sûr de se fâcher avec elle. »

Comment ne pas se perdre soi-même, à force de remuer une mémoire capricieuse et rétive ?

« Quoi que je dise et fanfaronne, il y a une douleur à se replonger dans ces souvenirs, à faire resurgir ce qui s’est dilué, effacé, ce qui a été recouvert. […] L’écriture met à nu, détruit une à une mes barrières de protection, défait en silence mon propre périmètre de sécurité. »

Autant de questions qui n’ont pas de réponses universelles. A chacun de s’en dépêtrer, le mieux possible. Le lecteur y trouvera ou non satisfaction. Delphine de Vigan se lance d’autant plus courageusement que son histoire est tourmentée. Avec, selon moi, beaucoup de réussite.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes passionné par les relations humaines dans ce qu’elles ont de plus beau et de plus terrible
  • Vous êtes intéressé par ce qu’on appelle la bipolarité, cette maladie si étrange pour qui ne la connaît pas
  • Vous pensez écrire ou faire écrire l’histoire de votre famille

Le petit plus : la couverture de l’édition citée. Il s’agit d’une photo de la captivante et magnifique Lucile.

***

Paru aux éditions JC Lattès, 2011 (1ère publication)

ISBN : 978-2-253-16426-5

402 pages

Grand prix des lectrices Elle 2013

Littérature française

 

La fiancée américaine – Eric Dupont

J’ai découvert la littérature québécoise pour la première fois il y un an, lors d’un voyage à Montréal. Là-bas, les librairies sont légions. Elles fleurissent à chaque coin de rue et proposent des livres d’occasion aussi bien que des livres neufs. J’ai donc maintenant « une pile de livres » québécois, qui alimente mes lectures étrangères.

« La fiancée américaine » est un livre captivant que je range avec bonheur dans mon dossier « épopées familiales ». Eric Dupont est un auteur contemporain, professeur d’université, établi à Montréal mais ayant vécu plusieurs fois en Europe.

Ce livre est son quatrième roman. Au fil des pages, j’ai pensé plusieurs fois aux « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. Peut-être les puristes hurleront-ils au sacrilège, car le style et probablement l’intention sont différents. L’œuvre d’Eric Dupont est moins touffue, et d’abord plus aisé. Elle présente pourtant le même foisonnement.

Tous les ingrédients y sont : l’histoire d’une famille (québécoise, donc) s’y déroule sur plusieurs générations. On suit quelques personnages truculents, au caractère bien marqué… et bien trempé. Les situations cocasses ou dramatiques se succèdent à une vitesse étourdissante. Le tout baigné par une atmosphère légèrement fantastique et un soupçon d’irréalité.

Tout commence par cette fiancée américaine que l’on importe dans la petite ville de Rivière-du-Loup, en pleine terre québécoise. Pour l’unique raison qu’elle se nomme Madeleine et que chaque génération de la famille des Lamontagne de Rivière-du-Loup doit avoir sa Madeleine. Elle fera long feu, cette fiancée, mais marquera le clan grâce à son livre de recettes et la croix en or léguée aux générations suivantes.

Et c’est parti pour d’incroyables aventures sur le continent Nord-américain et dans la vieille Europe !

« Il aurait fallu prendre une photographie des Lamontagne à ce moment là. On aurait pu la classer entre la photo faite à Hiroshima fin juillet 1945 et celle de Dresde à Noël 1944, ou de n’importe quel endroit dont la destruction est imminente. »

L’histoire est passionnante, servie par un humour inventif amenant une touche de légèreté aux scènes les plus graves.

« Contrairement aux Français qui semblent toujours avoir la réponse aux questions qu’ils n’ont pas encore posées, les Allemands sont toujours pleins de wann ? wie ? wo ? warum ? wer ? et ne vivent pas dans la peur panique d’avoir un jour à admettre : ‘Je ne sais pas.’ »

C’est aussi l’occasion de s’ouvrir l’esprit et d’apprendre en douceur. Les cahiers de Magda par exemple, nous plongent sans parti pris dans le vécu douloureux des civils allemands lors de la seconde guerre mondiale. Témoignage prenant et parfaitement documenté.

Quel personnage, d’ailleurs, cette curieuse Magdlena Berg, dont le nom signifie peu ou prou « Madeleine Lamontagne »…

La couverture parle d’elle-même : « la fiancée américaine » est en effet un « livre phénomène », qui ne peut pas laisser indifférent.

Un bémol : certains fils rouges un peu trop présents, qui tirent à l’obsession, comme l’évocation récurrente de l’opéra Tosca (Puccini). Ceci dit, pourquoi ne pas faire un tour sur youtube et découvrir (je suis personnellement inculte ou presque en matière de musique classique ou d’opéra, alors toutes les occasions sont bonnes !)

Le petit plus : l’histoire méconnue d’une des plus grandes catastrophes maritimes de tous les temps, le torpillage du Gustloff. Gardez donc la tablette à portée de main pendant la lecture. Vous apprendrez !

Le mot inédit : sarcelle. C’est le nom d’un canard, et dans le livre, c’est l’adjectif désignant la couleur des yeux des Lamontagne. « Une couleur rare », véritable marque de fabrique des membres clés de la famille.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous n’êtes pas effrayé par les pavés  (Celui-ci ne devrait pas vous ennuyer, il est suffisamment loufoque pour ça !)
  • Vous aimez l’histoire et la culture en général
  • Vous aimez les sagas familiales

***

Editions J’ai Lu, mai 2015

ISBN : 978-2-290-10945-8

919 pages

Prix des libraires du Québec 2013

Littérature québécoise

 

Attention Page-Turner ! Pandemia – Franck Thilliez

Je cherchais un livre captivant pour la pause de Noël et mon choix s’est arrêté sur ce « Pandemia » qui me faisait de l’œil depuis quelques temps. Le sujet était attirant (j’ai toujours aimé les histoires de virus mortel !) Je n’ai pas été déçue.

On retrouve dans « Pandemia » les inspecteurs fétiches de l’auteur, Franck Sharko et Lucie Henebelle, déjà présents dans plusieurs romans précédents. Celui-ci est la suite directe d’ « Angor », paru une année auparavant, mais l’histoire peut se lire de façon indépendante. Les quelques références au premier opus ne perturbent pas la lecture.

L’auteur a choisi un thème d’actualité : la menace d’une pandémie, l’utilisation d’un virus mortel à des fins terroristes et eugénistes. Tout commence par quelques cas de grippe aviaire. La société s’en trouve rapidement désorganisée et la panique n’est pas loin. Ce début fait écho à quelques situations récentes, comme la psychose autour de la grippe A en 2009 ou la dernière épidémie d’Ebola.

Mais ce n’est là qu’une infime partie de l’histoire imaginée par Franck Thilliez. N’espérez pas vous en tirer avec un simple rhume !

Le suspense monte lentement au fil des pages. Le lecteur suit différents personnages dont les découvertes représentent autant d’amorces pour l’intrigue. Comme plusieurs mèches, qui toutes aboutissent au pain d’explosif ! Les points de vue se succèdent au gré de chapitres suffisamment courts pour apporter du dynamisme au récit. L’absence de temps morts et les rebondissements réguliers permettent de maintenir l’intérêt du lecteur. A ce stade, je dois avouer avoir sacrifié mes dernières heures de sommeil en 2016.

On côtoie dans « Pandemia » de dangereux criminels. C’est donc un livre entaché de violence. Mais le tout est décrit sobrement, sans trop en faire, jamais gratuitement. Point de crescendo terrifiant comme chez Stephen King. Pas de tableaux sanglants à la Jean Christophe Grangé. Deux auteurs que j’aime quand même, leur talent me permettant de surmonter ces visions d’horreur pour peu que je les consomme avec modération ! En général, je suis plutôt adepte des thrillers psychologiques (que j’aime appeler « thrillers pour filles »). Avec Franck Thilliez, il semble que j’aie trouvé le bon équilibre. Le lecteur n’est certes pas ménagé, mais les scènes difficiles alternent avec les étapes de l’enquête, elles-mêmes émaillées d’explications scientifiques parfaitement crédibles.

Et c’est là l’une des grandes forces de Franck Thilliez. Il fait partie de ces auteurs qui se documentent et mènent des recherches poussées sur les sujets choisis. Sans nul doute, sa formation d’ingénieur l’aide à appréhender de nombreux problèmes techniques et maîtriser le vocabulaire. Il explore ainsi les dérives d’une science récupérée par des personnes bien mal intentionnées. Dans le cas de « Pandemia », l’écrivain a passé quelques temps à l’institut Pasteur de Lille, éminent lieu d’étude des virus et autres microorganismes suspects. La fiction s’appuie sur un contexte réaliste qui en augmente l’efficacité. L’intrigue prend de la profondeur. Il ne s’agit plus seulement de l’éternel affrontement entre les bons et les méchants.

Je me suis procuré un exemplaire du roman auprès de l’auteur lui-même, au cours d’une séance de dédicaces. Voici d’ailleurs son dessin du virus de la peur, qu’il ne se gêne pas d’inoculer à chacun de ses fans !

Dédicace de Franck Thilliez

Malgré son succès croissant et les sollicitations toujours plus nombreuses, Franck Thilliez reste abordable et très sympathique. Ce qui ne gâche rien…

Vous pouvez le retrouver sur sa page Facebook (cliquez ici), et consulter la liste de ses romans sur le site www.franckthilliez.com. Le prochain dans ma pile : « Rêver », en espérant qu’il ne n’empêche pas de dormir…

Difficulté de lecture : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous cherchez un page turner (pour les puristes, un livre tellement captivant qu’on a du mal à le lâcher. Si vous connaissez une bonne traduction française pour page turner, n’hésitez pas à partager dans les commentaires !)
  • Vous aimez les films catastrophes
  • Vous recherchez une intrigue crédible (même si l’on parle ici du scénario « vraiment pas de chance ») et d’actualité

Le petit plus (en tout cas, ça l’est pour moi) : je vais être très chauvine. Franck Thilliez est né à Annecy mais n’en reste pas moins ch’ti et vit toujours dans les Hauts de France.

Autre petit plus : son roman « Puzzle » vient d’être adapté en BD, pour ceux qui aimerait visualiser l’univers de l’auteur. Infos à retrouver sur sa page Facebook.

***

Paru chez Fleuve Editions, en 2015

ISBN : 978-2-265-09903-6

645 pages

Le réflexe créatif – Twyla Tharp

La créativité est un concept en vogue. Etre créatif est devenu une qualité, on parle du fantaisiste cerveau droit, par opposition à la rigueur de son gauche homologue. C’est un peu le grand fourre-tout de nos envies non abouties et de notre soif d’autre chose.

Mais que veut réellement dire ce mot magique ? C’est le thème que fouille Twyla Tharp dans son « réflexe créatif, l’acquérir et l’utiliser au quotidien ». Depuis 40 ans, cette chorégraphe de renom imagine et met en scène des spectacles de danse en créant, « à partir de rien, quelque chose d’à la fois grand et satisfaisant ».

C’est d’ailleurs sur cette notion d’espace vide ou de page blanche que s’ouvre cette synthèse de son expérience. L’auteur commence par nous décomplexer : « le talent n’est pas inné ». Elle nous enseigne comment mettre en place de bonnes habitudes et des routines pour faire de la créativité un réflexe. C’est alors que parfois le miracle se produit : le travail se frotte à la passion et l’étincelle de génie apparaît.

Dans la suite de l’ouvrage, Twyla Tharp nous donne des pistes pour développer ce fameux réflexe créatif. Elle multiplie les exemples, tentant chaque fois que possible de sortir de la danse, son domaine de prédilection. Le tout est de faire comprendre le principe, charge à chacun de l’ajuster à ses propres activités, de prendre, adapter ce qui est utile à sa personnalité, et de laisser le reste. Chaque chapitre se termine par quelques exercices à tenter et répéter, tel un musicien faisant ses gammes ou un sportif échauffant ses muscles. L’entraînement permet d’être prêt et faire en sorte qu’une touche, voire une bonne dose de créativité se niche dans chacune de nos réalisations.

Voici certains de ces conseils et exercices que j’ai trouvé intéressants notamment pour le domaine de l’écriture.

La première chose est de se créer des rituels. Pour un écrivain, il pourrait s’agir de la séquence suivante : se lever aux aurores, marcher pour s’aérer, se préparer un café et installer son chat sur la chaise d’à côté… Répéter chaque jour les mêmes gestes (soigneusement choisis, ceux qui nous plaisent et nous mettent dans le bon état d’esprit) permet de conditionner le cerveau et lui envoyer un signal : l’heure est venue de créer !

Le tout premier exercice conseillé par l’auteur me plaît beaucoup et je le pratique déjà : se choisir un stylo (ça peut aussi être un smartphone ou le fameux nuage virtuel) et le garder sur soi afin de capturer les belles idées qui passent et souvent disparaissent trop vite ! Il faut également savoir affronter ses peurs : les identifier et les noter aide à les désamorcer. Un autre conseil, que tous les accros à Facebook connaissent bien : pour laisser libre cours à sa créativité, il est important de couper les distractions ! C’est l’exercice de « la semaine sans ».

Tout cela paraît un peu simpliste, mais c’est un début qu’il n’est pas inutile de rappeler.

« Voilà à quoi servent avant tout les rituels de préparation : ils nous arment de courage comme de confiance en nous. »

La suite est plus complexe. L’auteur nous dit l’importance de se connaître et nous propose de répondre à 33 questions pour mieux cerner notre « ADN créatif ». Elle nous incite à travailler les différents types de mémoires (celle des souvenirs, des émotions, des perceptions, la mémoire de ce qui a déjà été fait). Elle nous conseille de développer notre propre système de rangement pour mieux classer les idées issues de l’inévitable travail de préparation d’un projet. Cette boîte à archives (ou cette pochette, ou ce fichier, réel ou virtuel) devient « le dépositaire de votre potentiel de créativité ».

Puis vient le moment du « grattage »… Gratter la surface des choses pour en sortir les petites inspirations qui donneront les grandes idées. Il s’agit de lire, sortir, écouter, visiter, contempler, examiner. Partez en expédition « avec la ferme intention de revenir en ayant appris quelque chose au passage ». Allez au musée, en forêt, dans un hall de gare, à la bibliothèque, au centre commercial, au commissariat, à la ferme… Tout dépend de votre objectif. Les possibilités sont infinies.

« Les idées existent partout autour de vous. »

Twyla Tharp poursuit et passe en revue les grandes caractéristiques et les aléas d’un projet créatif :

  • Les imprévus, souvent eux-mêmes sources d’inspiration. La chance qu’il faut savoir reconnaître et accueillir. Les erreurs qui font avancer. Les limites de temps ou d’argent : « à ceux qu’ils souhaitent anéantir, les dieux offrent des ressources illimitées. » L’auteur nous incite à nous mettre dans l’inconfort, nous rebeller, faire l’inverse de ce qui est habituel, générer de la friction. Car, dit-elle, « la créativité est un défi. Vous remettez en cause le statu quo, les principes et les vérités établies. »
  • La quête de la colonne vertébrale du projet en question et les éventuels thèmes sous-jacents. C’est le fil rouge, la structure qui permet de ne pas se perdre en chemin.
  • Les compétences qui permettent de maîtriser « à la perfection les savoir-faire de base du métier pour que la créativité s’élève sur des fondations solides. » La chorégraphe nous recommande de travailler nos forces, mais aussi nos faiblesses, d’alterner les genres pour progresser sans cesse. Listez vos compétences, choisissez-en une et imaginez ce que vous feriez si vous en étiez privé.
  • Les périodes ultra-créatives (que l’auteur appelle sillons) et les phases de creux (les tranchées). Pour éviter les pannes d’inspiration, un exercice tout simple : « construire une passerelle vers le lendemain », ainsi que le faisait Hemingway. Le principe est de terminer sa journée sans en avoir épuisé toutes les idées, ce qui laisse une piste pour redémarrer du bon pied le lendemain.
  • Les échecs. Est-il encore besoin de répéter à quel point ceux-ci peuvent être formateurs ?

Enfin Twyla Tharp termine sur un dernier conseil : ne pas croire que créativité rime avec jeunesse. Il est important de « tenir sur la durée ». Ce que l’on perd en énergie ou en effervescence, on le gagne en sagesse et en expérience. Et si l’on parvient à nourrir sa créativité, il est possible d’atteindre la maîtrise, « but ultime de tout artiste » :

« Quand vous arrivez à faire surgir la beauté et le merveilleux de la pierre d’angle qui avait été rejetée, vous avez atteint la maîtrise ».

Cet article n’est qu’un bref résumé et ne saurait remplacer la découverte des astuces et exemples proposés par l’auteur. Selon votre domaine d’activité, certains exercices vous paraîtront sans doute un peu ridicules et inutiles. Mais c’est là sans doute que réside tout l’intérêt de la démarche : découvrir et tenter de nouvelles expériences pour s’ouvrir de nouveaux horizons.

Twyla Tharp est une passionnée, exerçant son métier sans compter. Il y a dans son recueil quelques principes de vie qui dépassent largement le domaine artistique : la discipline, la curiosité, l’humilité, la persévérance, la façon d’aborder les relations humaines. Que vous adhériez ou pas à la philosophie qui y est déployée, le livre mérite sa place au rayon du développement personnel.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes en panne d’inspiration ou craignez la feuille blanche
  • Vous avez envie de sortir des sentiers battus
  • Vous aimez expérimenter

Le petit plus : la mise en page originale et colorée (on y parle quand même de créativité !) J’aime particulièrement les pages rouges indiquant le début de chaque chapitre. Elles permettent de se repérer facilement et visualiser la composition du livre ! Un exemple à suivre…

Autre petit plus : la découverte du monde de la danse et du métier de chorégraphe. Personnellement, je n’y connaissais rien. La créativité pour moi évoquait surtout les domaines évidents de la peinture, la sculpture ou l’écriture. Je ne m’étais jamais interrogée sur la créativité du mouvement et l’inspiration qui invente de nouveaux pas de danse. Twyla Tharp a pointé l’une de mes lacunes :

« J’espère simplement que vous avez déjà assisté à un ballet et que vous avez pu voir sur scène une compagnie de danse. Si ce n’était pas le cas, quel dommage ; car ce serait comme si vous m’avouiez n’avoir jamais ouvert un roman (…) »

Oups ! Quelqu’un pourrait-il conseiller une œuvre dansante et musicale à la néophyte que je suis ?