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Si vous êtes adepte du petit écran, vous aurez sans doute remarqué la multiplication des émissions sur le thème de la survie. « The Island » (l’île), « Koh-Lanta », « Man vs wild » (l’homme contre la nature), et j’en oublie. On confie une célébrité aux bons soins de Mike Horn (grand aventurier !) ou l’on abandonne des gens comme vous et moi sur une île déserte avec, pour mission, de survivre pendant un mois complet. Le fantasme de Robinson est plus que jamais populaire. Que cache donc un tel engouement ? Est-ce l’envie profonde d’un retour à une vie simple, aux racines, aux fondamentaux, ou au contraire la peur de perdre le confort matériel et nos aspirations modernes ? Vous trouverez peut-être des éléments de réponse dans la forêt imaginée par Jean Hegland.

Un futur probable et réaliste

L’auteure nous parle d’un futur à la fois très proche et très probable. Notre civilisation s’est effondrée. Chaque être humain doit assurer sa propre survie. Vous qui n’aimez pas ce genre littéraire, ne fuyez pas trop vite ! Dans ce livre, ni grands cataclysmes, ni invasions de robots. Non. Une situation qui dégénère lentement, entre dégâts climatiques, guerres plus ou moins lointaines et troubles intérieurs. Un peu de tout ce que nous entendons chaque jour dans les actualités. Des événements qui nous sont familiers se conjuguent et s’amplifient pour amener une société à sa perte. Jean Hegland ne nous en dira pas plus sur les raisons du désastre et cela n’est guère utile. Dans son roman, les rares descriptions qu’elle nous en donne suffisent à convaincre le lecteur que cette histoire pourrait devenir la nôtre.

« après des décennies d’avertissements et de prédictions les choses commençaient vraiment à manquer. »

Il s’agit d’une forêt de la Californie du nord, dans laquelle deux sœurs, Nell et Eva se retrouvent subitement orphelines et forcées de s’organiser pour faire face à cette nouvelle situation. Elles habitent une petite maison isolée, située à une cinquantaine de kilomètres de la ville la plus proche. En temps normal, pas de problème, un tour en voiture et hop !, le ravitaillement est assuré. Mais désormais, il n’y a plus d’essence aux pompes, plus d’électricité, plus de téléphone.

Et de toute façon, leur dernière visite vers la ville les a dissuadées d’y retourner. Les coutumes policées se sont évaporées, la loi du plus fort et les rumeurs y règnent en maîtres.

Tout réapprendre

Mais comment faire quand tous les repères ont disparu ? La facilité n’a plus cours, la technologie semble bien vaine et les réserves de nourriture s’amenuisent rapidement. Les jours, les semaines, les anniversaires perdent de leur importance tandis que les saisons prennent tout leur sens. Les contacts humains sont devenus exceptionnels et empreints de méfiance.

A quoi s’accrocher ? Que deviennent les grands projets ? L’une des sœurs rêve d’intégrer la prestigieuse université d’Harvard quand l’autre ne pense qu’à danser et devenir ballerine. Mais Internet et la musique se sont subitement tus. Ne reste que les frémissements de la forêt et le clapotement des pluies d’automne.

Pouvez-vous seulement imaginer votre réaction en pareille situation ? La colère, la peur, l’espoir, l’attente ? Patienter jusqu’à ce que tout redevienne comme avant ? Mais rien ne dit que le courant sera un jour rétabli ni que les voitures reprendront leur colonisation. Il faut alors tout redécouvrir. Plus rien n’est acquis. La moindre chose est à réinventer.

« Je me souviens d’avoir vidé des corbeilles à papier qui auraient tout d’un trésor aujourd’hui. »

Les angoisses se déplacent et se fixent autour de nécessités élémentaires : se chauffer, se nourrir, se protéger. Et lorsque le corps est à l’abri, l’esprit vagabonde, ré-explore les souvenirs, se tourne vers le passé puisque le futur est devenu invisible. Quelles décisions faut-il prendre ? Pourquoi ? Pour quoi ?

« A quoi cela sert-il ? Hormis tenir un peu plus longtemps. »

Lentement, Nell, Eva et le lecteur évoluent. Ils glissent vers un état d’esprit différent, remontent les âges et se connectent à leur nature profonde. L’être humain avant l’ère moderne.

Un roman magnifique qui interroge sur le sens même de la vie.

« C’est incroyable comme l’espoir plane tout près au-dessus du désespoir. »

Difficulté de lecture : **

Dans la forêt de Jean Hegland est pour vous si :

  • Vous aimez la nature et l’écologie ;
  • Les questions essentielles vous intéressent et vous aimez les gens sages ;
  • Vous rêvez d’ « une fugue dissociative », une parenthèse dans le cours d’une vie, ou peut-être dans celui de l’humanité.

Le petit plus : la description extraordinaire de cette forêt californienne, ses séquoias géants, ses plantes et ses herbes, sa faune parfois inattendue. Le langage poétique de l’auteure nous envoûte sans jamais lasser. Son style plonge le lecteur dans une atmosphère fraîche et authentique qui perdure longtemps après la lecture.

Autre petit plus : la réflexion sur les livres et l’écriture, ce qu’ils nous apportent et nous transmettent. Ce qu’ils ne nous disent pas…

Et enfin : il existe une adaptation cinématographique « Into the forest », de Patricia Rozema. Pour avoir visionné la bande annonce et lu quelques critiques, je pense qu’il ne faut pas en attendre la même chose que du roman. La version visuelle se rapproche des histoires post-apocalyptiques classiques : survie, rebondissements, suspense. Un film probablement très réussi quand on aime le genre. Mais qui ne doit surtout pas empêcher de lire le livre et en découvrir toute la profondeur et l’émotion.

Pour une autre réflexion sur l’écologie et les dangers du monde moderne, je vous propose Une histoire des abeilles, de Maja Lunde.

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Dans la forêt – Jean Hegland
Editions Gallmeister, 2017, pour la traduction française
Paru en 1996 pour la première fois, aux USA
ISBN : 978-2-35178-142-5
302 pages
Traduit de l’américain par Josette Chicheportiche
Littérature américaine