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Voici une histoire de famille, une autobiographie particulière, l’exercice d’écriture le plus difficile selon l’auteur. Il s’agit ici de raconter sa propre mère. C’est ce qu’entreprend Delphine de Vigan en retraçant l’histoire de Lucile et de son étonnante famille.

L’auteur mène une véritable enquête parmi ses proches afin de retracer le parcours d’une mère si difficile à cerner. Elle cherche à comprendre et retrouver les racines du mal qui touche Lucile, diagnostiquée bipolaire et internée à plusieurs reprises.

Le récit est touchant sans être larmoyant. Delphine de Vigan nous livre une description remarquable de cette famille nombreuse, marquée par la mort et la complexité des liens qui en unissent les membres ou les séparent. Petit à petit les secrets s’effleurent, se dévoilent ou s’enfouissent, malmenant Lucile et ses enfants. Cette femme malade se bat, plonge, refait surface, sombre à nouveau.

Mais ce qui fait l’originalité du livre est sans doute le fait que l’auteur partage son cheminement d’écriture à mesure que progresse l’histoire. Cette dernière est entrecoupée de ses doutes et ses interrogations sur cette entreprise intime et les raisons pour lesquelles elle écrit.

Au-delà de l’aspect dramatique et unique du récit, ce questionnement ne peut qu’interpeller quiconque a un jour tenté d’écrire sur ses proches. C’est ce qui m’a personnellement touchée, et ce que je retiens de cette lecture, parmi les différents thèmes abordés.

Comment écrire sans trahir ceux qui ne sont plus là pour témoigner ?

« Je perçois chaque jour qui passe combien il m’est difficile d’écrire ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlé de son enfance. Elle ne racontait pas. »

Quelle forme choisir afin de rester fidèle à la réalité sans nuire à la fluidité du récit ?

« Incapable de m’affranchir tout à fait du réel, je produis une fiction involontaire, je cherche l’angle qui me permettra de m’approcher encore, plus près, je cherche un espace qui ne serait ni la vérité ni la fable, mais les deux à la fois. »

Comment se tenir à l’écart d’interprétations forcément subjectives ?

« […] toute tentative d’explication est vouée à l’échec. Ainsi devrai-je me contenter d’en écrire des bribes, des fragments, des hypothèses.

L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser des questions et d’interroger la mémoire. »

Comment ne pas blesser ceux qui restent lorsque l’on aborde les épisodes douloureux ?

« Ecrire sur sa famille est sans aucun doute le moyen le plus sûr de se fâcher avec elle. »

Comment ne pas se perdre soi-même, à force de remuer une mémoire capricieuse et rétive ?

« Quoi que je dise et fanfaronne, il y a une douleur à se replonger dans ces souvenirs, à faire resurgir ce qui s’est dilué, effacé, ce qui a été recouvert. […] L’écriture met à nu, détruit une à une mes barrières de protection, défait en silence mon propre périmètre de sécurité. »

Autant de questions qui n’ont pas de réponses universelles. A chacun de s’en dépêtrer, le mieux possible. Le lecteur y trouvera ou non satisfaction. Delphine de Vigan se lance d’autant plus courageusement que son histoire est tourmentée. Avec, selon moi, beaucoup de réussite.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes passionné par les relations humaines dans ce qu’elles ont de plus beau et de plus terrible
  • Vous êtes intéressé par ce qu’on appelle la bipolarité, cette maladie si étrange pour qui ne la connaît pas
  • Vous pensez écrire ou faire écrire l’histoire de votre famille

Le petit plus : la couverture de l’édition citée. Il s’agit d’une photo de la captivante et magnifique Lucile.

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Paru aux éditions JC Lattès, 2011 (1ère publication)

ISBN : 978-2-253-16426-5

402 pages

Grand prix des lectrices Elle 2013

Littérature française