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Avez-vous déjà eu envie d’aventure ?

Je vous parle d’une véritable aventure, sans matériel sophistiqué ni balise d’urgence. Sans équipe de secours, prête à venir vous injecter un anti-venin ou vous évacuer parce que votre famille vous manque. Pensez à l’exploration de terres inconnues, imaginez les expéditions d’antan qui vous apportaient la gloire ou vous prenaient la vie.

C’est ce qu’a tenté Raymond Maufrais, journaliste et explorateur dans les années quarante. L’homme a vingt-trois ans lorsqu’il part, seul, sans argent ni véritable équipement à travers la Guyane. Il veut y découvrir la vie primitive, celle des Indiens (qui, à l’époque, ne sont pas tous amicaux) en empruntant des chemins quasi-vierges et périlleux.

« Ma fortune c’est l’espace, la certitude de découvrir quelque chose d’inconnu, d’inviolé ».

« Aventures en Guyane » est le recueil de ses carnets de voyage, livrés tels qu’ils ont été retrouvés après la disparition de leur auteur.

Car Raymond Maufrais ne reviendra jamais de cette folle expédition. On perd sa trace au bord d’un fleuve où il abandonne son journal. Pourquoi ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Lisez donc le livre et partez à la découverte d’un homme surprenant. Vous ne devriez pas regretter le voyage.

A l’heure où la morosité et le défaitisme ont tendance à envahir nos vies, ces carnets sont une vraie leçon de courage. Leçon venue du passé, de la part d’un jeune homme, même pas trente ans, qui va jusqu’au bout de ses convictions, sa volonté, son éthique. Il souffre, se bat contre l’adversité et les idées noires. Et ne cède pas.

« mais non, je suis sûr que demain ça ira mieux. Certainement, voyons ! ça ira mieux ! »

« Dans la forêt il n’y a rien, rien, aucun espoir si l’on se perd. Une fois parti, une fois pris par elle, l’abandon, la fatigue, le cafard, plus rien n’est permis. Il faut aller de l’avant ou crever. »

« Même sans manger je pense pouvoir tenir, car je veux arriver. »

Ces phrases, il se les répète comme des mantras, du début jusqu’à la fin. Il combat ce fameux « cafard » et croit dur comme fer à l’action. Formidable personnage qui, à dix-sept ans, a déjà reçu la croix de guerre pour s’être distingué dans la résistance. Et qui pourtant se fustige de n’avoir encore rien accompli dans la vie ! Qui dit mieux ?

Journaliste de métier, Raymond Maufrais possède également un talent certain pour l’écriture, ce qui ne gâche en rien la lecture de ses « aventures ». Son style nous plonge en pleine forêt, nous donne à découvrir la faune, la flore, et les habitudes locales, parfois si éloignées de nos réflexes occidentaux. Je vous livre ici un passage fabuleux du livre, passage au sens propre, vers la forêt guyanaise et ses dangers :

« Marcher en forêt, c’est ployer sous le sac, à chaque pas trébucher, glisser, tomber, on se raccroche à un arbre, et c’est un épineux ! On le lâche pour un autre, il cède car il est pourri et vous voilà couvert de fourmis ; on évite une liane pour tomber dans une autre ; on met le pied sur un tronc qui cède et vous voilà enlisé jusqu’aux genoux ; sur un autre, on dérape ; on reprend l’équilibre, mais le pantalon accroché au passage se déchire et le fusil prisonnier d’une liane vous repousse en arrière, vous fait perdre de nouveau l’équilibre alors que, nerveusement, vous cherchez à tirer au lieu de trancher, et vous voici par terre, sur des feuilles et, au-dessous de ces feuilles, un tapis de piquants d’avoara ; les mains zébrées par les herbes coupantes, l’œil rouge d’avoir été éborgné, on avance pas à pas, le sabre à la main dont le fil, déjà, est retourné d’avoir tant et tant taillé. Marcher en forêt, c’est aussi se glisser, ramper, marcher à genoux, à quatre pattes pour franchir un obstacle. C’est se barbouiller de toiles d’araignées gluantes, se couvrir de fourmis, défoncer un nid de mouches méchantes et se retrouvé enflé, meurtri, harassé, épuisé, saignant, prêt à mettre le pied à l’endroit précis où une seconde auparavant un petit serpent noir et terriblement venimeux se tortillait dans une tache de soleil et le voir filer prestement, mais avec la crainte de le retrouver sans pouvoir l’éviter, dans ce tas de branches, dans ce trou herbeux, accroché cette liane froide et fine et humide qui glisse dans le cou et menace de vous étrangler, cependant que vous frissonnez, prêt à hurler de terreur, croyant déjà sentir l’étreinte de l’anaconda ou les crocs du grage. »

Isolé de tout et de tous, les pieds dans la pourriture et les nids de serpents, Raymond Maufrais reste lucide et modeste. Ses pensées volent vers sa famille puis se fixent sur les pages de ses carnets :

« C’est curieux ce que l’on peut raconter de choses inutiles dans un journal intime. Si tout devait être publié, ce serait barbant. »

Et bien non, Monsieur Maufrais, votre journal n’est pas barbant. C’est un voyage, ainsi qu’un magnifique exemple que vous offrez aux générations actuelles.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes prêt à vous faire secouer les puces, à oublier pour un temps l’inertie et le confort contemporains !
  • Vous voulez découvrir ou retrouver la Guyane et son ambiance moite
  • Vous voulez vivre une expérience de survie incomparable

Le petit plus : le « taki taki », cette langue incroyable, mélange de plusieurs autres dont l’auteur nous livre parfois quelques phrases. « Dialecte utilisé par les différents habitants du fleuve Maroni, mélange d’anglais, de hollandais, de créole et de français. La syntaxe est purement africaine. »

Pour aller plus loin : Je suis bien loin d’être seule à m’être passionnée pour cette histoire ! Il existe une association « des amis de l’explorateur », des livres, des bandes dessinées, des films, un site Internet (www.maufrais.info), une page Facebook . L’idée est de retracer son parcours et celui de son père (car le courage est une caractéristique familiale chez les Maufrais) et perpétuer cet incroyable noblesse d’esprit. Bref, de quoi prolonger longtemps l’aventure…

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Paru aux éditions Points, 2014 (réédition)

ISBN : 978-2-7578-3846-4

306 pages

Littérature française