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Chanson douce – Leïla Slimani

Attention, ne vous fiez pas aux apparences, ce roman est redoutable. Il n’a de doux que le titre.

Louise rit, raconte des histoires et organise des jeux. Elle range la maison et prépare les repas. C’est une nounou parfaite. C’est une chanson douce susurrée à l’oreille de parents dépassés par l’arrivée de leurs enfants, submergés par leur volonté de tout avoir, famille heureuse, carrières épanouissantes, position sociale et intérieur bien tenu. Louise les rassure et les dédouane.

En réalité, la situation est plus noire encore qu’il n’y paraît. Le ton est donné dès la première phrase : « Le bébé est mort ». Vous êtes prévenu. Il s’agit d’un drame, sans doute le plus terrible qui soit. La nounou assassine les enfants qu’elle garde, et ce livre raconte son histoire.

Alors, à quoi bon, me direz-vous ? Pourquoi lire une chose aussi horrible ? Il n’y a aucune surprise. Rien que le malaise suscité par une telle catastrophe.

Et bien non. Au fil des pages, l’auteur parvient à faire monter ce suspense que l’on croit gâché. Elle décrit la vie de cette famille, raconte son quotidien dans l’année précédant le drame. Son style est efficace. Elle énonce des faits, de façon froide : évènements ou émotions, tout est exposé sur le même ton. Peu de fioritures. On sait pourtant que quelque chose de terrible va se passer. Peut-être au détour de la prochaine phrase ? On ne sait pas quand, ni pourquoi, ni comment. On ne demande qu’à comprendre. Cette incertitude nourrit la tension qui gonfle lentement, bien mieux que si l’auteur changeait de registre et employait des mots tragiques.

Louise est inquiétante. On la sent tourmentée. Son comportement, en apparence irréprochable, cache de graves fêlures :

« Elle avance, coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de méchants enfants auraient brisé les pattes. »

Elle s’immisce au sein de la famille, invisible et silencieuse, omniprésente :

« On la regarde et on ne la voit pas. Elle est une présence intime mais jamais familière. »

Son rapport aux enfants est équivoque. Elle les nourrit, les distrait, veille à leur bien-être. On ne sent pourtant pas une once d’affection dans ses gestes ou ses paroles. Etrange.

Oui, certains diront que cette histoire est étrange, absolument pas réaliste. Aucune mère, aucun couple ne laisseraient une étrangère prendre autant de place ou se permettre les dérives auxquelles Louise, peu à peu, se laisse aller. En est-on bien sûr ?

Que le roman soit réaliste ou caricatural, il est l’occasion de peindre un certain mode de vie moderne, avec ses abus et ses absurdités.

« La vie est devenue une succession de tâches, d’engagements à remplir, de rendez-vous à ne pas manquer. Myriam et Paul sont débordés. Ils aiment à le répéter, comme si cet épuisement était le signe avant-coureur de la réussite. »

Peut-être vous reconnaîtrez-vous parfois ? Sans pour autant vous identifier vraiment aux personnages extrêmes du roman ? Je peux difficilement croire que le texte ne fera pas écho chez les femmes ayant eu à reprendre le travail après un congé maternité, quels qu’aient été leurs sentiments pendant cette période.

Et c’est sans doute parce que le roman est diablement ancré dans la vie actuelle qu’il est aussi efficace.

Il pointe également l’infime différence qui peut exister entre des jours heureux et sans histoires, et le désespoir qui étreint parfois certains dont la vie échappe à tout contrôle.

« Mila demande pourquoi certains arbres ont pris cette teinte dorée, lumineuse, tandis que d’autres, les mêmes, plantés à côté ou en face, semblent pourrir, passant directement du vert au marron foncé. »

Leïla Slimani est l’heureuse lauréate du prix Goncourt 2016, pour ce roman « Chanson douce ». Cet auteur franco-marocain de 35 ans est seulement la 12ème femme (en 113 ans) à obtenir la prestigieuse récompense, succédant ainsi à de grands noms comme Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les romans psychologiques
  • Vous aimez les histoires actuelles
  • Vous n’avez aucun doute sur le mode de garde de vos enfants (sinon stress garanti !)

Vous pouvez retrouver l’interview de Leïla Slimani par l’Actu Littéraire en cliquant sur la vidéo ci-dessous.

***

Chanson douce

Leïla Slimani

Editions Gallimard, 2016

ISBN : 978-2-07-019667-8

227 pages

Prix Goncourt 2016

 

Rencontre avec Amélie Nothomb

Pour qui s’intéresse aux livres et à l’actualité littéraire, ce nom est forcément familier. Amélie Nothomb est un auteur prolifique, qui publie un roman par an, depuis vingt-cinq ans, à chaque rentrée littéraire.

Cela ravit ou agace. Certains adorent cette régularité de métronome et le style si particulier de la romancière (des livres très courts, aux sujets toujours originaux). D’autres s’énervent de ce systématisme et trouvent que les romans gagneraient à être plus longs ou « plus fouillés ». Quelques titres comportent des éléments autobiographiques qui ne semblent pas conformes à la stricte réalité, ce que les puristes ont tendance à ne pas pardonner.

C’est donc avec une immense curiosité que je me rends à cette rencontre avec Amélie Nothomb organisée en octobre dernier par le club de lecture France Loisirs. Je n’avais lu d’elle que « Stupeurs et tremblements » (que j’ai adoré et qui m’a beaucoup fait rire) et « le crime du conte Neuville » (que j’ai trouvé plaisant, sans plus). De l’auteur, je ne connaissais que ces deux titres, le look tout en noir, blanc et rouge à lèvres profond, et ce parfum de polémiques flottant autour de son nom.

Me voilà donc à Paris, par une après-midi un peu grise, à tourner autour du siège de France Loisirs. Leur magasin est fermé, réquisitionné pour les préparatifs de l’interview. Zut ! Je cherche une librairie pour acheter le dernier roman de l’auteur (« Riquet à la houppe ») : je ne veux pas arriver devant elle sans rien à faire signer. Je finis par trouver, échange quelques mots avec la libraire qui trouve les livres d’Amélie Nothomb « trop courts » (encore une !) puis arrive avec un peu d’avance sur les lieux de l’interview.

Coup de chance, je trouve une chaise libre au premier rang, à moins de deux mètres de celle de l’auteur. Une place de choix ! Amélie arrive bientôt, silhouette menue mais qui en impose malgré tout par le regard attentif qu’elle laisse planer sur l’assemblée. Elle cherche des lecteurs connus, veut faire connaissance avec les autres, demande les prénoms. Le premier contact est sympathique, tout en bienveillance et volonté d’échanger.

Amélie Nothomb

Rapidement l’interview commence. Quelques discours, l’auteur reçoit des fleurs (magnifiques !) et du champagne puis s’assied pour répondre aux questions de la journaliste chargée de mener la discussion. Je suis impressionnée par sa maîtrise de l’exercice. On la savait douée pour l’écrit, elle est magistrale à l’oral. Elle manie l’humour et l’auto dérision pour détendre l’atmosphère, puise, sans la moindre once de pédantisme, dans une culture littéraire qu’on devine immense. Je ne regrette pas le voyage. Dans la conversation, elle répond à plusieurs interrogations que j’avais à son sujet.

A propos de ses romans, elle admet que, contrairement à certaines apparences (le choix du conte comme forme littéraire de ses romans récents, son incapacité à utiliser les technologies modernes), ses histoires sont profondément ancrées dans le monde actuel. Elle parle de choses graves, tout en restant dans la légèreté. Elle aime notamment écrire pour et sur les personnes en décalage avec la société. Ses personnages sont toujours atypiques, à commencer par leur prénom : de Trémière à Déodat, l’auteur fouille le dictionnaire (qu’elle a entièrement lu dans son jeune âge) pour dénicher des prénoms riches de sens et trop peu utilisés à son goût.

Son objectif est d’exprimer les exclusions, notamment « les exclusions bêtes ». Selon elle, il suffit de bien peu pour être mis au ban d’une société particulièrement raide, qui rejette les accents inhabituels ou les vêtements bizarres. Si des choses aussi stupides peuvent vous exclure, « imaginez ce que peut faire de vous l’origine ethnique, la religion, j’en passe et des pires ! » Pour avoir vécu ce genre de situation (« j’ai été une Belge socialement inadaptée à cause de mon langage et de mon habillement pas comme les autres »), Amélie Nothomb souhaite donner la parole à tous ces rejetés.

L’auteur se dit avoir été enceinte de chacun de ses romans. Elle attend ainsi le 87ème. Si elle n’en publie qu’un seul chaque mois de septembre, Amélie Nothomb écrit quatre livres par an. Elle en choisit un qu’elle consacre au public, celui qui suscitera le plus d’intérêt, et conserve les autres dans des boîtes à chaussures à l’abri des regards intéressés de son éditeur. Selon elle, ces manuscrits secrets sont plus souvent des réflexions écrites pour elle-même que des histoires destinées aux lecteurs.

Elle parle aussi de son rapport à l’écriture, qui évolue au fil des ans. L’auteur est très influencé par le style épuré de l’Asie, et l’art d’exprimer beaucoup en un seul trait. Il est important de ne pas tout dire, car « quand on dit tout, on ne dit rien »… C’est la raison pour laquelle ses romans sont chaque année un peu plus courts. Si elle était certaine de pouvoir ainsi tout retranscrire, elle ne nous livrerait que des haïkus ! A ceux qui jugent ses romans trop minces, elle répond : « ça va empirer ! »

Retranscrire « les sons » qu’elle entend est tout l’enjeu de son écriture : « j’espère que ce que j’écris ressemble à ce que j’ai dans la tête. » Elle dit avoir tous les jours l’angoisse de la page blanche, le problème n’étant pas de trouver l’idée mais de savoir comment l’exprimer.

Elle répond ouvertement aux médias qui cherchent à dénoncer le fait que ses autobiographies ne sont pas toujours conformes à la réalité. « Dans les livres, j’écris une expérience humaine qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui ». L’important est là, pas dans les dates ou les lieux. Le romancier peut écrire ce qu’il veut tant qu’il l’écrit lui-même. C’est en cela qu’on sait qu’un livre est authentique.

Amélie Nothomb évoque enfin la littérature en général et son appétit boulimique des livres. Elle écrit quatre heures chaque jour, puis, lorsqu’elle n’a pas d’autres engagements, consacre ses après-midis à la lecture. France Loisirs lui offre la possibilité de « de sauver un livre » tous les trois mois en le mettant à l’honneur. C’est « un pouvoir extraordinaire » auquel elle tient beaucoup. Elle aime repêcher les auteurs inconnus ou les livres tombés dans l’oubli. Au fil de l’interview, elle cite certains de ses coups de cœur littéraires : « les mains du miracle » (Joseph Kessel), « comment Baptiste est mort » (Alain Blutière), « La Princesse de Clèves » (Mme de Lafayette). Elle conseille à ceux qui ne lisent pas de trouver l’auteur qui saura les sensibiliser : « il y a forcément un ou plusieurs auteurs qui sont faits pour vous ! »

Encore quelques plaisanteries au sujet de sa voilette qui ne tient pas et finit par tomber, et voilà l’interview terminée. Une petite heure passée bien vite. La journée se poursuit par l’incontournable séance de dédicaces. France Loisirs nous offre un exemplaire de « Riquet à la houppe », qui rejoint celui que j’ai acheté plus tôt dans la librairie voisine ! La file d’attente se forme et chaque lecteur a l’occasion de parler quelques minutes avec l’auteur et lui poser sa question subsidiaire. Bulles, petits-fours et ambiance conviviale. Le bilan est très positif : j’ai rencontré une belle personne, qui exprime parfaitement les intentions posées dans ses livres. Amélie Nothomb est un auteur attentif et proche de ses lecteurs (elle répond d’ailleurs elle-même aux nombreux courriers qu’elle reçoit). Et à voir le visage des fans présents lors de cette journée, la reconnaissance et l’admiration qu’ils montrent compensent largement les critiques régulièrement parues sur la romancière !

Dédicace !

Pour terminer cet article, voici une liste des 25 romans publiés, que je me suis promis de lire avant la fin de 2017 (l’avantage du format court !) Histoire d’avoir une meilleure vue de l’œuvre et pouvoir m’en faire une réelle opinion. Qui relève le défi ? En avez-vous lu certains ? N’hésitez pas à partager dans les commentaires !

 

Si vous souhaitez en savoir plus sur Amélie Nothomb, allez voir son site officiel. C’est par ici : http://www.amelie-nothomb.com/

Voici la biographie qui, totalement véridique ou non (qu’importe, n’est-ce pas ?), y est reprise :

Fille de diplomate belge, Amélie Nothomb est née le 13 août 1967 à Kobé, au Japon. Elle publie en 1992 son premier roman Hygiène de l’assassin, unanimement salué par la critique et le public. En vingt ans de carrière, Amélie Nothomb a notamment été récompensée par le Grand Prix du Roman de l’Académie française 1999, le Grand Prix Jean Giono pour l’ensemble de son œuvre et le Prix de Flore 2007.

Des fleurs pour Algernon – Daniel Keyes

Comment devenir plus intelligent sans efforts ? Impossible ? C’est pourtant ce que les médecins proposent à Charlie.

Charlie Gordon est simple d’esprit. Le mot est même particulièrement faible. L’homme approche de la quarantaine et sait à peine lire et écrire. Il s’occupe de basses besognes dans une boulangerie où les autres apprentis ne cessent de rire à ses dépens. Mais Charlie est tellement naïf qu’il accueille ces plaisanteries avec bonheur, croyant avoir de merveilleux amis.

L’homme montre pourtant une force de caractère peu commune : il veut apprendre et devenir plus intelligent. C’est pourquoi les Professeurs Nemur et Strauss le choisissent pour une toute nouvelle expérience. Une petite opération du cerveau pour devenir un génie en puissance ! L’essai a déjà été tenté avec une souris de laboratoire, surnommée Algernon. L’animal est désormais capable de sortir d’un labyrinthe en un temps record…

Bien sûr, Charlie accepte l’opération. Et ?

Et son intelligence augmente…

Le livre est le compte-rendu que Charlie écrit lui-même chaque jour pour décrire la façon dont il ressent les changements extraordinaires qui se produisent dans son cerveau. La transformation est progressive et l’auteur réussit le tour de force de traduire par écrit cette lente évolution. Les premiers rapports de Charlie sont difficiles à lire : fautes d’orthographe, de grammaire, de conjugaison, de syntaxe. Presque de la phonétique. Avez-vous déjà tenté d’écrire de cette manière ? Pas facile d’éviter les fautes, mais pas si simple non plus de s’en servir sciemment comme figure de style !

Et puis les choses s’améliorent au fil des pages, pour aboutir à des réflexions écrites très précises et pertinentes.

« Ce qui est étrange dans l’acquisition du savoir, c’est que plus j’avance, plus je me rends compte que je ne savais même pas que ce que je ne savais pas existait. »

Le lecteur se retrouve dans le cerveau de Charlie et tente de comprendre le phénomène. Car l’intelligence ne se résume pas à une accumulation de connaissances. Il s’agit également d’appréhender le monde, les émotions et les relations humaines. C’est bien là que les ennuis commencent pour notre héros.

« Il est ironique que toute mon intelligence ne m’aide pas à résoudre un problème comme celui-là. »

« Maintenant je comprends que l’une des grandes raisons d’aller au collège et de s’instruire, c’est d’apprendre que les choses auxquelles on a cru toute sa vie ne sont pas vraies, et que rien n’est ce qu’il paraît être. »

Ce n’est que le début du roman. Qu’arrivera-t-il à Charlie et Algernon ? Parviendront-ils à maîtriser ces aptitudes inespérées qui leur offrent de nouvelles perspectives ? Le suspense augmente avec le QI de Charlie.

Au-delà de cette histoire passionnante, le livre résonne avec nos propres interrogations. Les enfants comprennent leur environnement en grandissant. Et, lorsqu’arrivent l’âge et l’affaiblissement des facultés, le pouvoir diminue et l’existence semble se diluer. Charlie, lui, « naît à la vie » lorsque se développe son intelligence. Sans ce pouvoir de réflexion, il semble presque ne pas exister, ne pas interagir efficacement avec ce et ceux qui l’entourent. Il vit en accéléré. Il a moins de temps que quiconque pour marquer et changer le monde. Laisser une trace, trouver sa place. C’est peut-être ce qui fait écho à nos propres vies. Et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le livre, paru pour la première fois en 1966, a connu un succès croissant pendant plus de quarante ans.

Le roman, lui-même dérivé d’une nouvelle de l’auteur, a été adapté sous de multiples formes : films pour le cinéma ou la télé, pièce de théâtre, spectacle musical et dansant. Si vous vous procurez l’édition augmentée, vous pourrez lire également l’essai dans lequel l’auteur explique en détail la genèse du livre. Pour qui s’intéresse au processus d’écriture, ce bonus est inestimable, d’autant que « Des fleurs pour Algernon » est véritablement l’œuvre d’une vie.

Le roman prend racine dans les propres expériences de l’auteur, et ce, depuis son plus jeune âge (il apprend d’ailleurs seul à lire, avant ses cinq ans !)

« J’ai pu l’écrire parce que ça m’était arrivé. »

Il puise son inspiration et augmente son talent d’écrivain grâce aux innombrables livres qu’il dévore :

« J’ai beaucoup appris des maîtres qui se trouvaient dans la bibliothèque du bateau. »

« Je lis, je lis sans cesse. »

Lentement l’idée prend forme jusqu’aux premières esquisses de la nouvelle puis du roman lui-même. L’auteur est impressionnant de persévérance. Il peaufine son histoire, cent fois sur le métier remet son ouvrage.

« (…) après l’avoir laissé de côté pendant quelques jours, je l’ai relu et j’ai été écœuré. C’était très mauvais. »

« Des fleurs pour Algernon » est un diamant maintes fois ciselé pour aboutir à l’œuvre aujourd’hui reconnue et encensée dans tant de pays.

Pour aller plus loin, vous pouvez également visionner une ou plusieurs des adaptations réalisées à partir du roman. Attention cependant, elles sont loin de coller à l’histoire originale. Mais chacune a son intérêt, mettant l’accent sur certains aspects pour en oublier d’autres (j’évite de comparer un livre avec son film. Pour moi les deux n’ont pas le même objectif, mais sont souvent intéressants l’un et l’autre). J’ai pour ma part regardé deux films, que vous pouvez facilement trouver sur Internet :

  • « Charly », un film de Ralph Nelson, avec Cliff Robertson, sorti en 1968

Daniel Keyes raconte l’histoire de ce film dans son essai. Il a été consulté sans vraiment cautionner. Quelques passages à l’eau de rose, un peu soupe. On y voit les débuts des effets spéciaux au cinéma (amusant, même si ça n’apporte pas grand-chose au récit)

  • « Des fleurs pour Algernon », téléfilm de David Delrieux, avec Julien Boisselier et Hélène de Fougerolles, sorti en 2006

De nombreuses différences avec le livre, sans doute pour « mieux coller » à un public français. Un résultat très émouvant, même si le personnage de Charlie (renommé Charles) y paraît sensiblement moins sympathique.

Dans les deux cas, la performance de l’acteur principal est remarquable. Il s’agit quand même de jouer tour à tour un simple d’esprit et un génie !

Il existe également un film tiré de l’adaptation théâtrale elle-même tirée du roman de Daniel Keyes… (avec Grégory Gadebois, sorti en 2013) Quand je vous disais que ce livre n’en finit pas d’avoir du succès !

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes intéressé par ce qui donne son humanité à une personne
  • Vous estimez que la psychologie des personnages est une composante essentielle d’un roman réussi
  • Vous n’avez pas peur des souris !

Le petit plus : l’édition augmentée propose aussi la nouvelle que l’auteur a écrite avant de la transformer en roman.

***

Edition augmentée

Editions J’ai lu, 2011, pour la traduction française

ISBN : 978-2-290-03272-5

543 pages (300 pages pour le roman)

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Georges H. Gallet

Essai et nouvelle traduits de l’anglais (Etats-Unis) par Henry-Luc Planchat

Aventures en Guyane – Raymond Maufrais

Avez-vous déjà eu envie d’aventure ?

Je vous parle d’une véritable aventure, sans matériel sophistiqué ni balise d’urgence. Sans équipe de secours, prête à venir vous injecter un anti-venin ou vous évacuer parce que votre famille vous manque. Pensez à l’exploration de terres inconnues, imaginez les expéditions d’antan qui vous apportaient la gloire ou vous prenaient la vie.

C’est ce qu’a tenté Raymond Maufrais, journaliste et explorateur dans les années quarante. L’homme a vingt-trois ans lorsqu’il part, seul, sans argent ni véritable équipement à travers la Guyane. Il veut y découvrir la vie primitive, celle des Indiens (qui, à l’époque, ne sont pas tous amicaux) en empruntant des chemins quasi-vierges et périlleux.

« Ma fortune c’est l’espace, la certitude de découvrir quelque chose d’inconnu, d’inviolé ».

« Aventures en Guyane » est le recueil de ses carnets de voyage, livrés tels qu’ils ont été retrouvés après la disparition de leur auteur.

Car Raymond Maufrais ne reviendra jamais de cette folle expédition. On perd sa trace au bord d’un fleuve où il abandonne son journal. Pourquoi ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Lisez donc le livre et partez à la découverte d’un homme surprenant. Vous ne devriez pas regretter le voyage.

A l’heure où la morosité et le défaitisme ont tendance à envahir nos vies, ces carnets sont une vraie leçon de courage. Leçon venue du passé, de la part d’un jeune homme, même pas trente ans, qui va jusqu’au bout de ses convictions, sa volonté, son éthique. Il souffre, se bat contre l’adversité et les idées noires. Et ne cède pas.

« mais non, je suis sûr que demain ça ira mieux. Certainement, voyons ! ça ira mieux ! »

« Dans la forêt il n’y a rien, rien, aucun espoir si l’on se perd. Une fois parti, une fois pris par elle, l’abandon, la fatigue, le cafard, plus rien n’est permis. Il faut aller de l’avant ou crever. »

« Même sans manger je pense pouvoir tenir, car je veux arriver. »

Ces phrases, il se les répète comme des mantras, du début jusqu’à la fin. Il combat ce fameux « cafard » et croit dur comme fer à l’action. Formidable personnage qui, à dix-sept ans, a déjà reçu la croix de guerre pour s’être distingué dans la résistance. Et qui pourtant se fustige de n’avoir encore rien accompli dans la vie ! Qui dit mieux ?

Journaliste de métier, Raymond Maufrais possède également un talent certain pour l’écriture, ce qui ne gâche en rien la lecture de ses « aventures ». Son style nous plonge en pleine forêt, nous donne à découvrir la faune, la flore, et les habitudes locales, parfois si éloignées de nos réflexes occidentaux. Je vous livre ici un passage fabuleux du livre, passage au sens propre, vers la forêt guyanaise et ses dangers :

« Marcher en forêt, c’est ployer sous le sac, à chaque pas trébucher, glisser, tomber, on se raccroche à un arbre, et c’est un épineux ! On le lâche pour un autre, il cède car il est pourri et vous voilà couvert de fourmis ; on évite une liane pour tomber dans une autre ; on met le pied sur un tronc qui cède et vous voilà enlisé jusqu’aux genoux ; sur un autre, on dérape ; on reprend l’équilibre, mais le pantalon accroché au passage se déchire et le fusil prisonnier d’une liane vous repousse en arrière, vous fait perdre de nouveau l’équilibre alors que, nerveusement, vous cherchez à tirer au lieu de trancher, et vous voici par terre, sur des feuilles et, au-dessous de ces feuilles, un tapis de piquants d’avoara ; les mains zébrées par les herbes coupantes, l’œil rouge d’avoir été éborgné, on avance pas à pas, le sabre à la main dont le fil, déjà, est retourné d’avoir tant et tant taillé. Marcher en forêt, c’est aussi se glisser, ramper, marcher à genoux, à quatre pattes pour franchir un obstacle. C’est se barbouiller de toiles d’araignées gluantes, se couvrir de fourmis, défoncer un nid de mouches méchantes et se retrouvé enflé, meurtri, harassé, épuisé, saignant, prêt à mettre le pied à l’endroit précis où une seconde auparavant un petit serpent noir et terriblement venimeux se tortillait dans une tache de soleil et le voir filer prestement, mais avec la crainte de le retrouver sans pouvoir l’éviter, dans ce tas de branches, dans ce trou herbeux, accroché cette liane froide et fine et humide qui glisse dans le cou et menace de vous étrangler, cependant que vous frissonnez, prêt à hurler de terreur, croyant déjà sentir l’étreinte de l’anaconda ou les crocs du grage. »

Isolé de tout et de tous, les pieds dans la pourriture et les nids de serpents, Raymond Maufrais reste lucide et modeste. Ses pensées volent vers sa famille puis se fixent sur les pages de ses carnets :

« C’est curieux ce que l’on peut raconter de choses inutiles dans un journal intime. Si tout devait être publié, ce serait barbant. »

Et bien non, Monsieur Maufrais, votre journal n’est pas barbant. C’est un voyage, ainsi qu’un magnifique exemple que vous offrez aux générations actuelles.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes prêt à vous faire secouer les puces, à oublier pour un temps l’inertie et le confort contemporains !
  • Vous voulez découvrir ou retrouver la Guyane et son ambiance moite
  • Vous voulez vivre une expérience de survie incomparable

Le petit plus : le « taki taki », cette langue incroyable, mélange de plusieurs autres dont l’auteur nous livre parfois quelques phrases. « Dialecte utilisé par les différents habitants du fleuve Maroni, mélange d’anglais, de hollandais, de créole et de français. La syntaxe est purement africaine. »

Pour aller plus loin : Je suis bien loin d’être seule à m’être passionnée pour cette histoire ! Il existe une association « des amis de l’explorateur », des livres, des bandes dessinées, des films, un site Internet (www.maufrais.info), une page Facebook . L’idée est de retracer son parcours et celui de son père (car le courage est une caractéristique familiale chez les Maufrais) et perpétuer cet incroyable noblesse d’esprit. Bref, de quoi prolonger longtemps l’aventure…

***

Paru aux éditions Points, 2014 (réédition)

ISBN : 978-2-7578-3846-4

306 pages

Littérature française