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Expérience d’un livre audio – Rêver – Franck Thilliez

Je viens de vivre une curieuse expérience. Je viens de vivre « un thriller ». Oui, me direz-vous, c’est ce qui arrive chaque fois qu’on lit ce genre de livres, ou qu’on regarde ce type de films.

Mais dans ce cas, la sensation était bien plus intense. Impression d’être totalement plongée dans l’atmosphère inquiétante voulue par l’auteur, de faire partie de l’histoire et de la subir. Pour de vrai. Et comme rarement auparavant.

J’ai testé un premier livre audio. J’avais en effet plus de mille kilomètres à parcourir en moins de deux jours pour des raisons professionnelles. A part quelques coups de fil à passer (avec le kit mains libres), rien d’autre à faire que de rouler et écouter. En résumé, les conditions idéales pour tenter l’expérience.

Il me fallait un roman simple à lire (écouter) et suffisamment prenant pour maintenir l’attention pendant plusieurs heures. Quoi de mieux qu’un thriller ? Quoi de mieux qu’un roman de Franck Thilliez, auteur dont j’avais déjà apprécié « Puzzle » et « Pandemia » ? J’ai cette fois choisi « Rêver », que je voulais lire depuis quelques semaines sans jamais en avoir pris le temps.

Me voilà donc dans la voiture, prête à embarquer pour un étrange voyage. Dans le coffret Audiolib, je trouve deux CD qui représentent en tout plus de treize heures de lecture. Allons bon ! Je n’aurai pas assez de ce déplacement pour tout écouter ! Au moins, je ne risque pas de tomber à cours… Le livre est lu par la comédienne Clémentine Domptail. Une voix de femme donc, puisque le personnage principal est une jeune psychologue collaborant avec la police dans une sombre affaire de disparitions d’enfants. Pour ajouter à l’intrigue, Abigaël est atteinte de narcolepsie, cette maladie déconcertante qui plonge ses victimes dans des phases de sommeil aussi intempestives qu’irrépressibles. Et ce, où qu’elles se trouvent, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Le décor est planté !

D’autre part, dès les premiers mots, l’auditeur est averti : le récit fera des allers-retours incessants entre deux évènements clés de l’enquête, un accident et un incendie. De quoi augmenter encore un suspense qui ne tarde pas à s’installer et m’envoûter. Les heures et les kilomètres défilent sans que je m’en rende compte. Je ne suis plus dans la voiture mais sur les pas d’Abigaël. Comme elle, je m’interroge, je m’inquiète et suis déroutée par les nombreux débuts de piste, finalement sans intérêt. C’est presque à regret que je m’arrête pour faire le plein d’essence, boire un café et finalement rejoindre mes collègues en réunion. Vivement le voyage retour ! J’ai besoin de connaître la suite.

Plus j’avance dans les chapitres, plus je suis ensorcelée. J’ai pourtant l’habitude de ces thrillers captivants. Alors, pourquoi une impression aussi forte ?

Lire demande une attention active. Ҫa fatigue. D’ailleurs, ne lit-on pas parfois pour mieux s’endormir le soir ? Il est donc plus difficile de lire pendant quatre heures d’affilée que d’écouter un CD. Au cinéma, c’est l’inverse ! Il n’y a qu’à se laisser porter. On s’imprègne rapidement de l’intrigue mais sur une période plutôt courte, excédant rarement deux heures.

Avec un livre audio, le suspense a le temps de s’installer et enfle lentement, sans interruption et sans que la concentration ne faiblisse. Ajoutez à ça l’effet hypnotique d’un long parcours sur l’autoroute, et vous voilà propulsé dans un monde parallèle, à l’apparence terriblement réelle.

Il y a aussi le travail de l’actrice. Elle y met le ton et parvient à moduler sa voix pour nous faire entendre et reconnaître les différents personnages dans les dialogues ou lors des changements de point de vue. Prenez le premier livre qui vous tombe sous la main et faites l’exercice. Essayez de lire à voix haute en insufflant de la vie au récit. Vous verrez qu’il faut pour cela un vrai talent !

Et puis je suis sans doute bon public. Je lis beaucoup, j’aime le cinéma et me laisse facilement embarquer dans toutes sortes d’histoires. Il est probable que certains préfèreront écouter la retransmission d’un match de foot ou d’un débat politique houleux !

Quoi qu’il en soit, après cinq heures de route, je reste dix minutes de plus dans la voiture, sans bouger, sans même penser à me déplier, simplement pour écouter la fin d’un chapitre. Bravo Mr Thilliez, vous venez sans le savoir d’inventer la téléportation. Je n’ai pas cité votre propre talent, mais il est indéniable !

Une très légère frustration cependant : lorsque je lis un bon roman, j’aime avoir le livre entre les mains, en éprouver l’épaisseur, le déployer en éventail, tester le soyeux des pages. Avec un CD, c’est beaucoup moins sensuel ! Eternel débat entre le papier et le virtuel…

Vous l’aurez compris, je suis donc convaincue par l’intérêt des livres audio, même si, pour moi, ils ne remplaceront jamais la lecture classique ou les bons vieux films sur écran géant. Mais c’est une expérience différente, et complémentaire.

Quelques conseils (ou notes personnelles pour le prochain livre audio) :

  • Rester sur des romans à la lecture / écoute facile (en voiture, pas de retour en arrière aisé pour réentendre un passage ou s’interroger sur le sens d’un mot)
  • Choisir une histoire prenante pour maintenir la concentration
  • Faire des pauses régulières pour garder un pied dans la réalité
  • En voiture, stopper l’écoute dès que la conduite se fait difficile (trafic, intempéries, petites routes, obscurité). La priorité restant bien sûr d’arriver sain et sauf à destination !

Cette fois je vous laisse. Il me reste encore quelques chapitres à écouter. Abigaël parviendra-t-elle à résoudre cette affaire insensée ?

En attendant, dites-moi donc si vous avez déjà écouté un livre audio, et si oui, ce que vous en avez pensé ! Des idées d’autres romans « audiogéniques » ? (mot qui n’existe pas, mais vous m’avez comprise…)

Difficulté de lecture / écoute : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les bons thrillers (rien de très sanglant mais quelques passages éprouvants)
  • Vous aimez être manipulé par l’auteur sans deviner le dénouement
  • Vous êtes fasciné par le monde onirique et les tours que le cerveau nous joue parfois

Le petit plus : Fleuve éditions (chez qui est paru « Rêver ») propose un petit test en ligne sur les rêves et la façon dont vous rêvez. Vous ne risquez rien à essayer ! C’est par ici.

***

Audiolib

Texte lu par Clémentine Domptail

ISBN : 978-2-36762-214-9

Durée : 13h14 (chapitre bonus inclus)

La femme qui fuit – Anaïs Barbeau-Lavalette

Me voilà replongée dans la littérature québécoise, à la découverte d’une femme complexe que l’on s’efforce de comprendre au fil des pages, sans jamais y parvenir tout à fait.

Suzanne Meloche est une artiste, peintre et poète, contestataire. Née en 1926, elle veut demeurer libre dans un siècle qui ne le lui permet pas. Sa propre mère a renoncé au piano pour une vie terne qu’elle a passée à élever ses enfants, sans plaisirs et sans un sou. Suzanne fuit ce schéma familial, la misère et la triste condition des femmes de l’époque.

« Tu sais maintenant que tu as un ailleurs. Ce que tu ne sais pas, c’est que tu en auras toujours un, et jamais le même. Ce sera ta tragédie. »

Elle file à travers le vingtième siècle, rompant tout lien naissant, se coupant systématiquement de ses racines. Elle s’échappe, loin de sa famille, loin des hommes qu’elle aime pourtant sans retenue, et finalement loin de ses enfants. Elle abandonne ses bébés, sa fille Mousse et son fils François. Deux herbes sauvages qui pousseront loin d’elle, sacrifiées parce qu’il faut rester libre.

Comment être à la fois mère et artiste sans contraintes ?

Comment pardonner un tel geste ?

L’auteure, Anaïs Barbeau Lavalette est la fille de Mousse (Manon Barbeau de son nom officiel), et Suzanne Meloche est sa grand-mère. Enfant, elle déteste cette aïeule qui ne lui a transmis que le vide et l’absence. Devenue adulte, elle fait pourtant appel à une détective pour l’aider à reconstituer et écrire cette vie atypique.

« Parce que je suis en partie constituée de ton départ. Ton absence fait partie de moi, elle m’a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples et profondes. »

Elle nous livre ce récit dans un roman entièrement rédigé à la deuxième personne, comme si elle interpellait sa grand-mère, comme si elle la convoquait pour une explication tardive. Les phrases et les chapitres sont courts, le style incisif.

Les descendantes de Suzanne sont finalement devenues artistes. Elles aussi ont « ce besoin d’être libre, comme une nécessité extrême ». Mais Anaïs précise : « Je suis libre ensemble, moi. » La famille est enfin soudée, la fuite s’est arrêtée. Et dans la toute dernière page, l’auteure remercie ceux qui lui ont « permis d’écrire et d’avoir des enfants en même temps. »

A la décharge de Suzanne, il faut bien admettre que l’époque a changé, même si de nombreuses difficultés persistent. Le roman offre un aperçu efficace du vingtième siècle, de ses heurts et ses évolutions en Amérique du Nord. Crise de 29, conflit mondial, lutte pour les droits des femmes, des amérindiens et des noirs, guerre du Vietnam. Autant de déflagrations dont le souffle emporte Suzanne. Inconvénient d’être sans attaches.

« Tu te dis que la vie est sale, et que c’est comme ça que tu l’aimes. »

Le livre est aussi l’occasion de découvrir les Automatistes, groupe d’artistes et d’intellectuels québécois des années 40 et 50. Leur chef de file Borduas rédige le manifeste du Refus Global, déclaration révolutionnaire remettant en cause la mainmise religieuse et les valeurs québécoises de l’époque.

Deux articles intéressants à lire sur le sujet et le rôle que Suzanne y a joué (ne cliquez qu’après avoir lu le livre !) :

http://www.le-surrealisme.com/automatistes.html

http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/449781/les-petits-enfants-de-refus-global

J’ai découvert le roman lors du dernier salon du livre de Paris auquel assistait Anaïs Barbeau-Lavalette. En lui parlant ce jour-là, j’ignorais encore tout de son histoire. Je comprends maintenant le sens de sa dédicace : « à Laetitia, et, par ricochets, à L. et R. (mes enfants) Et à la suite du monde… »

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes touché par les histoires de famille, les liens mère-fille, la maternité
  • Vous vous sentez l’âme rebelle
  • Vous êtes curieux de l’histoire du Québec. Si, comme moi, vous n’y connaissez rien, soyez prêt à consulter Internet de temps en temps. Vous en apprendrez beaucoup sur ce territoire francophone emblématique

Le petit plus : la description d’un épisode incroyable de la lutte pour les droits des noirs aux Etats-Unis. Comme si vous-même étiez dans ce bus. Je ne vous en dis pas plus.

Anecdote : Suzanne et ses amis artistes fument des cigarettes du Maurier, très populaires au Canada. La marque fut fondée à l’origine par le père de Daphné du Maurier. Qui est cette Daphné ? Retrouvez là ici !

***

Paru aux éditions Marchand de feuilles, 2015

ISBN : 978-2-923896-50-2

378 pages

Prix des libraires du Québec

Prix France-Québec

Grand prix du livre de Montreal

Littérature québécoise

Code 1879 – Dan Waddell

Que diriez-vous d’une petite bière dans un pub de Londres ?

Mauvaise idée. Dans certains quartiers rôdent des ombres étranges et malveillantes.

Un corps sans mains vient d’être retrouvé dans un cimetière de l’ouest londonien. Sur sa peau est gravé un mélange de lettres et de chiffres qui met l’inspecteur Foster sur une piste originale. L’inscription ressemble à une référence d’index recensant d’anciens actes d’état civil. Dès lors, Foster et sa collègue Heather se plongent dans le passé de la ville.

Nigel Barnes, généalogiste professionnel, navigue d’un centre de recherches à l’autre et les guide dans cette exploration inédite.

Toute la question est maintenant de savoir si l’on peut faire un bon polar en se servant de la généalogie. Après tout, l’activité ne véhicule pas une image très dynamique et a la réputation d’attirer surtout les retraités.

« L’âge moyen des usagers du centre devait probablement être deux fois plus élevé que celui de tous les autres lieux publics, l’histoire familiale étant la chasse gardée – à de rares exceptions – de ceux pour qui la mort n’était plus une hypothèse lointaine mais une certitude imminente. »

Je vous vois faire la grimace ! Je vous entends penser : « une bande de vieux croûtons qui prend des notes et farfouille dans des papiers jaunis et poussiéreux ! Très peu pour moi ! »

Dites- vous que la généalogie s’est depuis longtemps modernisée et est entrée de plein pied à l’ère d’Internet. Et pour avoir moi-même fait quelques recherches, je sais à quel point il s’agit d’un travail d’enquêteur. Rassembler une liste de noms, de lieux et de dates, ce n’est qu’un pauvre début. Encore faut-il reconstituer les faits, révéler les vies cachées derrière les lourdeurs administratives, débusquer les secrets plus ou moins avouables. C’est alors qu’apparaissent les surprises.

Foster, Heather et Barnes ne s’attendent pas à ce que l’enquête met à jour. Pas plus que le lecteur.

Selon moi, un polar est réussi lorsqu’il suscite les questions et laisse planer le doute. Celui-ci m’a baladée jusqu’aux derniers chapitres. « Mais qui peut bien être le tueur ? Pourquoi agit-il comme ça ? Rien ne semble logique. » Je ne suis pourtant pas novice dans la lecture des policiers.

Puis je repère quelques mots qui me mettent sur la piste. « Ah, ah ! Monsieur l’écrivain, je vous ai percé à jour ! J’ai découvert l’assassin avant la page ultime ! »

Je comprends à la phrase suivante que Dan Waddell m’a simplement amenée là où il le voulait et a permis que l’on devine le fin mot de l’histoire. Pour mieux entretenir le suspense jusqu’au dénouement.

Le tout est bien ficelé. Complexe mais pas alambiqué. Et puisqu’on ne se lasse pas des bonnes intrigues, je me suis empressée d’acheter le reste de la trilogie :

  • « Depuis le temps de vos pères » (paru en français en 2012, aux éditions du Rouergue)
  • « La moisson des innocents » (paru en français aux mêmes éditions en 2014)

Difficulté de lecture : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous avez envie de lire un polar original
  • Vous aimez la généalogie et l’histoire locale. Les initiés pourront même comparer les techniques anglaises avec les nôtres. Mais pas d’inquiétude : il n’est pas non plus utile de connaître la généalogie pour apprécier le roman.
  • Vous n’avez pas l’âme trop sensible (le tueur de Dan Waddell a peu à envier aux pires des cinglés, réels ou imaginaires)

Le petit plus : l’ambiance londonienne du passé, le noir des ruelles, le souvenir inquiétant de célèbres tueurs. Glauque ? Un peu. Mais il faut bien ça pour un polar, pas vrai ?

***

Paru aux éditions du Rouergue, 2010 pour la traduction française

(Editeur original : Penguin Books Ltd, Londres, 2008

ISBN : 978-2-330-00268-8

362 pages

Prix Cezam Inter-CE en 2012

Titre original : The Blood Detective

Littérature anglaise