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Concours pour le Paradis – Clélia Renucci

Concours pour le Paradis – Clélia Renucci

Venise… Fermez les yeux et imaginez… Les gondoles, les masques, la place Saint-Marc et les nuances moirées des eaux éternelles. Dans son roman Concours pour le Paradis, Clélia Renucci nous propose pourtant une vision différente de la Sérénissime.

Le Paradis a brûlé !

L’auteure nous projette au XVIe siècle, juste après l’incendie du palais des Doges en 1577. Les flammes ont détruit la magnifique fresque décorant la salle du Grand Conseil et présentant une vision majestueuse du Paradis. Cette fresque faisait la fierté de Venise ; il faut donc la remplacer. Fidèle à ses traditions, la ville ne se contente pas de désigner un peintre renommé. Elle organise un concours auquel les plus grands artistes du moment sont invités à participer. C’est le début de dix-huit années de rivalités et de fourberies donnant finalement naissance au meilleur de l’expression artistique.

« Les Vénitiens n’ont jamais reculé devant l’inconcevable. »

Politique, religion et jeux d’influence

L’époque moderne n’a rien inventé. Les sujets sont différents mais les moyens restent les mêmes. Venise est une cité prééminente et convoitée. Elle vient de vaincre les Turcs à la bataille de Lépante mais n’en reste pas moins vulnérable face à Rome et à la valse des alliances entre puissances étrangères. Ce Concours pour le Paradis devient donc un enjeu politique. Donc religieux. Rapidement l’Inquisition s’en mêle et Rome pèse sur le choix final pour asseoir son influence. Vous apprendrez la façon dont un simple dessin peut décider de la grâce ou de la chute de son auteur. Vous assisterez aux manœuvres sournoises des émissaires, patriciens et autres dignitaires et vous délecterez de leurs dialogues, savamment travaillés par l’auteure. Enfin, vous entendrez la rumeur qui fait et défait les réputations.

« A Venise, les souverains craignent autant les chuchotements que les Français redoutent la rébellion. »

Un conseil : pendant la lecture, gardez un moteur de recherche à proximité. Vous en apprendrez plus sur de nombreux faits d’époque. Mais laissez-moi vous rassurer, le roman n’a rien d’un documentaire ennuyeux ! Les références historiques sont distillées de manière très subtile et parfaitement intégrées dans le récit.

Les peintres de la Renaissance

J’ai beaucoup d’admiration pour les peintres de la Renaissance. Ils avaient tout à découvrir ! Jusqu’alors, je m’étais surtout intéressée à Rome, avec mes favoris Raphael et Michel-Ange, ou au grand Leonard de Vinci. A l’occasion de ce Concours pour le Paradis, j’ai également fait la connaissance du Tintoret et de Véronèse, pour ne citer qu’eux. Soyons honnêtes, la visite d’un musée peut être particulièrement barbante. Cet alignement de tableaux assombris par le temps, représentant des scènes qui n’ont plus cours aujourd’hui…

Mais dans son roman, Clélia Renucci place les toiles dans leur contexte et nous raconte l’histoire des peintres et des commandes qu’ils reçoivent. Leur vie n’est pas simple. Ils veulent créer et innover mais se heurtent souvent aux conventions. Prenez votre tablette et visualisez les œuvres sur Internet à mesure qu’elles sont citées. Vous verrez qu’elles prennent une nouvelle dimension et apprécierez la visite virtuelle !

« Nous autres peintres, nous prenons de ces licences que prennent les poètes et les fous. » (mots de Véronèse face au tribunal de l’Inquisition en 1573)

Par ailleurs l’histoire des techniques de peinture se révèle passionnante. Pour ce nouveau paradis, les notables optent pour une toile peinte à l’huile et abandonnent la fresque murale. Les débats font rage entre les partisans de la couleur (colorito) et les amoureux du dessin (disegno) : la vie et le mouvement contre la symétrie et le projet intellectuel ; Le Titien contre Raphael. Savez-vous ce que signifie l’expression « mettre au carreau » ? Je vous laisse découvrir…

Venise autrefois

Vous serez également surpris de constater que la Venise du XVIe siècle est bien éloignée du raffinement qu’on lui prête aujourd’hui. Clélia Renucci vous promène dans les rues et sur les canaux de la ville et, sans en avoir l’air, vous parle de ses règles de vie et de son histoire au moyen d’anecdotes parfaitement intégrées dans le texte. Vous y apprendrez par exemple dans quelles circonstances a été construit le pont Rialto, vous verrez les costumes originaux de la Commedia dell’arte, entendrez les cris du carnaval (bien moins élégant qu’aujourd’hui), sourirez aux protestations du peuple à propos du nouveau calendrier grégorien… Vous froncerez peut-être les sourcils en comprenant le sort réservé aux femmes d’autrefois. La société vénitienne se découvre dans toute sa splendeur, ses excès et ses contradictions. Tant à dire à propos de ce roman et de cette époque !

Reste une question majeure : qui donc remportera le concours et réalisera la magnifique toile encore exposée dans le palais des Doges ?

« Il me semble que c’est l’enfer qu’il représente ici, et non le paradis. »

Pour aller plus loin :

Si la vie des peintres vous intéresse, je vous propose quelques titres supplémentaires :

  • Au temps où la Joconde parlait (Jean Diwo) : pour moi un véritable coup de cœur, lu plusieurs fois. L’incroyable épopée des peintres de la Renaissance, traitée comme un roman. Partez à la rencontre, entre autres, de Botticelli, Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci et de leurs mécènes ;
  • La course à l’abîme (Dominique Fernandez) : la vie sombre et trépidante du Caravage, où le pire côtoie le meilleur comme dans un clair-obscur magistral ;
  • La jeune fille à la perle (Tracy Chevalier) : un incontournable ! Il ne s’agit plus de peintres italiens mais de Vermeer et d’une ambiance plus septentrionale, teintée d’une surprenante sensualité. Un livre également recommandé par Clélia Renucci.

Vous trouverez plusieurs interviews de l’auteure sur le web. En voici une, très complète, à propos de Concours pour le Paradis : Interview Clélia Renucci – Albin Michel

Je précise que ce roman m’a été envoyé dans la box « Secrets d’auteurs » dont je ne me lasse pas. Le magazine associé propose les reproductions des peintures réalisées dans le cadre du concours, la genèse du livre, les références littéraires de Clélia Renucci, et bien d’autres choses encore ! Je recommande (et c’est sincère, n’étant pas partie prenante dans cette entreprise).

Ce livre est pour vous si :

  • Vous avez l’âme d’un artiste ;
  • Vous aimez l’Histoire ;
  • Vous appréciez les livres qui enrichissent votre culture tout en vous distrayant.

Difficulté de lecture : **

Le petit plus : la dédicace que Clélia Renucci a bien voulu m’accorder ! « Une vision méconnue de la Venise renaissante ».

Dédicace de Clélia Renucci pour son roman Concours pour le Paradis

Dédicace de Célia Renucci pour son roman Concours pour le Paradis

Un autre petit plus : la magnifique couverture de l’édition Albin Michel représentant une peinture de Véronèse.

Le mot de la fin à Clélia Renucci : née de parents célèbres dans le monde de la culture (Pierre Miquel, historien ; France Renucci, maître de conférences à la Sorbonne), elle est essayiste et professeure de littérature française à New York. Concours pour le Paradis est son premier roman et, espérons-le, pas le dernier !

***

Concours pour le Paradis – Clélia Renucci

Editions Albin Michel 2018

ISBN : 978-2-226-39201-5

269 pages

Littérature française

Prix du premier roman 2018

Prix Grands Destins du Parisien Week-end

Le manuscrit inachevé – Franck Thilliez

Le manuscrit inachevé – Franck Thilliez

J’ai bien failli ne pas écrire cette chronique… J’ai toujours de la difficulté à parler d’un livre qui ne m’a pas enthousiasmée de la première à la dernière page. Cela signifie-t-il que je n’ai pas aimé le dernier thriller de Franck Thilliez, Le manuscrit inachevé ? Pas vraiment. J’ai apprécié la lecture. C’est un vrai page-turner. Alors quoi ?

Les ingrédients d’un bon thriller

J’aime terminer l’année avec un bon thriller. Un roman de Franck Thilliez, c’est une valeur sûre. Dès le prologue, tout est réuni pour capter l’attention du lecteur.

Sarah, 17 ans, est kidnappée un soir de décembre et l’on apprend que quatre ans plus tard, ses parents ont perdu tout espoir de la retrouver en vie. Elle est, semble-t-il, tombée entre les griffes d’un redoutable tueur en série, finalement appréhendé par la police. Jusqu’à ce que de nouveaux éléments apparaissent, et notamment ce cadavre de jeune fille, retrouvé par hasard dans le coffre d’une voiture accidentée.

Bien sûr il ne s’agit là que de la face cachée d’un iceberg particulièrement meurtrier. Franck Thilliez se joue du lecteur et l’envoie sur nombre de fausses pistes. « Misdirection ». C’est le terme qu’il emploie pour vous prévenir : vous allez être manipulé.

Une atmosphère oppressante

L’intrigue du Manuscrit inachevé se déroule essentiellement entre Grenoble et la Côte d’Opale, et toujours en hiver. Entre mer et montagne. D’un côté la neige et la silhouette menaçante de cimes enneigées. De l’autre la pluie, le vent, le sable et la marée qui désorientent et recouvrent les traces. Les jours sont courts et l’obscurité baigne les pages du livre.

Le hasard a voulu que je passe quelques jours dans la baie de Somme au moment où je lisais le roman. Les embruns, le froid, l’humidité salée, la nuit en pleine journée… De quoi s’immerger totalement dans l’ambiance oppressante d’une histoire noire.

Un jeu de pistes déroutant pour un final très réussi

Je vous l’ai dit, l’auteur ne cesse de vous emmener dans de fausses directions. Il sème des indices qui vous mettent la puce à l’oreille mais finalement ne font que vous égarer davantage. J’ai commencé par prendre des notes en me disant « Il ne m’aura pas, je trouverai le fin mot de cette histoire avant la dernière page ». Et puis j’ai abandonné. Tout ça ne me menait nulle part. Et pour cause !

J’ai été déçue par certaines énigmes. Je n’en dirai pas plus. Hors de question de vous gâcher le plaisir de la découverte… ou de la déconvenue. Et quand je suis déçue, je n’écris pas de chronique. Na !

Mais quand même… Ces dernières pages, elles sont sacrément énervantes. J’ai envie de savoir. Je prolonge la lecture, c’est samedi matin, il est 11h et je suis encore en pyjama. Sérieusement, Franck Thilliez, tu m’énerves ! J’ai autre chose à faire, moi ! Tant pis, plus que dix pages, je vais au bout.

Et là !

Un beau final ! Il est fort, ce romancier…

Difficulté de lecture : *

Le manuscrit inachevé est pour vous si :

  • Vous terminez toujours ce que vous commencez ;
  • Vous devinez toujours la fin des livres que vous lisez ;
  • Vous aimez vous faire avoir.

Le petit plus : la couverture, qui annonce la couleur…

Une dernière chose… Et si vous écoutiez l’auteur parler de son manuscrit inachevé ? C’est par ici :

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Le manuscrit inachevé – Franck Thilliez
Fleuve éditions
ISBN : 978-2265117803
528 pages
Littérature française