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L’ombre sur la lune – Agnès Mathieu-Daudé

L’ombre sur la lune – Agnès Mathieu-Daudé

Il s’est passé quelque chose d’étrange alors que je lisais ce deuxième roman d’Agnès Mathieu-Daudé. Je l’avais acheté à l’aveugle tant j’avais aimé son premier livre, Un Marin chilien, et sa manière d’écrire, si particulière. Mais là, les premières pages me font froncer les sourcils : je n’accroche pas. Pire, je suis agacée. Je comprends mal et le premier personnage entrant en scène ne me séduit pas. Allons bon ! Je ne suis pas une lectrice débutante, que diable ! Je m’entête et entame le second chapitre…

Et la magie opère

On le savait déjà, les personnages d’Agnès Mathieu-Daudé sont pour le moins atypiques. Dans ce roman, nous rencontrons d’abord Attilio, mafioso silicien à la fois cruel et raté, exilé en Espagne pour n’avoir pas su s’imposer. Un garçon séduisant mais peu sympathique, hanté par un crime vieux de vingt ans. L’homme a fait tuer son épouse le jour même de leur mariage, et s’en est allé, sans un regard pour la malheureuse…

Et puis Blanche apparaît. Une pauvre fille, un peu ratée elle aussi, employée de musée exploitée par son patron et ne vibrant que pour un footballeur célèbre dont l’heure de gloire a fini de sonner depuis longtemps.

Au moment où ces deux-là se rencontrent, je suis déjà embarquée dans l’histoire. Blanche m’a touchée. Sa vie bizarre et ses tristes obsessions. Sa dignité. Je suis prise dans l’ambiance. On sent qu’une force est à l’œuvre, le destin peut-être ou bien cette ombre sur la lune. Les pages tournent et le récit avance, hypnotique. Le mot inéluctable prend tout son sens.

Le style d’Agnès Mathieu-Daudé

Si les premiers paragraphes m’ont rebutée, c’est que le style d’écriture est particulièrement dense. Une scène, une vie entière se résume en une phrase, quelquefois sans le moindre raccourci.

« On ouvrit le coffre, les pelles s’entrechoquèrent et la mariée fut enfoncée dans le sable gris, le chignon trop bouclé qui dépassait encore. »

C’est souvent si incongru qu’il me faut relire. Pour être certaine.

Passé un temps d’accoutumance, j’apprécie et savoure l’humour caustique se dégageant de mots judicieusement choisis. La poésie également qui, tel un rayon de lune, éclaire furtivement quelques lignes.

Fernando Torrès, Goya et l’Andalousie

Mais la vraie jubilation est arrivée avec Goya.

Agnès Mathieu-Daudé emmène en effet le lecteur au musée du Prado de Madrid. Blanche, rappelons-le, travaille dans le monde de l’Art et est incollable sur Goya. Je me retrouve donc à déambuler dans les allées du musée et à admirer les toiles du célèbre peintre espagnol. Au passage, j’apprends ce que sont les peintures noires, j’ouvre des yeux ronds devant Saturne dévorant un de ses fils et  m’interroge sur ce fameux Chien qui fait tant parler de lui dans le roman.

L’Ombre sur la lune n’est pas que l’histoire de deux personnages insolites. C’est aussi un voyage dans le sud de l’Espagne : sa passion du foot (vous ne savez pas qui est Fernando Torrès ?), sa peinture, sa folie des arènes et les paysages secs et somptueux de l’Andalousie.

 

L'Andalousie, théâtre de l'Ombre sur la lune (Agnès Mathieu-Daudé)
L’Andalousie, théâtre de l’Ombre sur la lune (Agnès Mathieu-Daudé)

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les livres étranges ;
  • Vous vous demandez comment une certaine beauté peut émerger des choses les plus viles ;
  • Vous appréciez l’humour au second degré.

Difficulté de lecture : ***

Pour une autre lecture burlesque et espagnole, je vous conseille Le Cœur cousu, de Carole Martinez. L’histoire d’une lignée de femmes andalouses ayant un don surnaturel…

***

L’Ombre sur la lune – Agnès Mathieu-Daudé Editions Gallimard, 2017 ISBN : 978-2-07-273553-0 203 pages Littérature française

L’Île au rébus – Peter May

L’Île au rébus – Peter May

 

Autant vous avertir : tous les éléments de L’Île au rébus ont déjà été largement employés dans d’autres polars. Une île cernée par la tempête, une vieille maison, un meurtre, un suspect tout désigné… En bref, le parfait huis-clos au parfum d’enquête policière. Je dois pourtant dire que ce roman de Peter May est plutôt bien réussi.

Un crime vieux de vingt ans

Enzo Macleod connaît bien la médecine légiste et les scènes de crime. Il s’est mis en tête de résoudre toutes les affaires non élucidées que son ami journaliste Roger Raffin a décrites dans un livre, Assassins sans visage. Le voici donc en Bretagne, sur l’île de Groix, dans la maison d’Adam Killian, assassiné vingt ans plus tôt. Jane, la belle-fille de ce dernier se désespère : tout ce temps, et pas une piste satisfaisante. Rien n’a été bougé dans le bureau de la victime. Il semblerait qu’une étrange énigme y soit dissimulée, attendant peut-être qu’Enzo ne parvienne à la déchiffrer…

« En général, les gens ne voient pas ce qui leur crève les yeux. »

Peter May traite ici un thème intéressant et amène du piquant aux éléments de l’enquête. Cette voix venue du passé, avertissant les hommes d’aujourd’hui et ne manquant pas d’un certain humour quant à sa manière de passer les messages. C’est pourtant un vrai monstre, bien réel et effrayant que l’enquête va peu à peu mettre au jour…

Une ambiance humide propre au mystère

L’île de Groix se trouve au large des côtes bretonnes. Vous me connaissez maintenant, une petite visite sur le web m’a permis d’admirer les paysages et les villages décrits dans le roman. Que les vrais Bretons me pardonnent, je trouve que l’atmosphère de la région y est bien décrite et correspond à l’idée que l’on s’en fait. Il fait froid, la pluie détrempe tout et les pieds s’enfoncent dans l’herbe des falaises. La nuit cache parfois de mauvaises surprises, sans doute les curieux génies des légendes celtes. Besoin de réconfort ? Installez-vous dans l’une des auberges du petit port pour déguster un savoureux whisky au coin du feu. Et lorsque vous sortirez, peut-être serez-vous étonné d’apercevoir le soleil, s’obstinant à tenir sa place dans le climat changeant de Bretagne.
C’est donc une balade dépaysante, offrant un cadre parfait à cette histoire de meurtre…

L’Île au rébus, tome 4 de la série Assassins sans visage

Je ne suis pas une experte des polars et ne connaissais Peter May que de nom. L’Île au rébus m’a donné l’envie d’en savoir plus.
L’auteur est prolifique. Il a écrit plusieurs séries, dont celle que j’évoque ici. Mais la plus connue est sans doute sa trilogie écossaise, plusieurs fois primée, comprenant L’Île des chasseurs d’oiseaux, L’Homme de Lewis, et Le Braconnier du lac perdu. Peter May est d’ailleurs écossais d’origine, même s’il vit aujourd’hui en France.
A n’en pas douter, il se spécialise dans les histoires insulaires et les atmosphères celtes ! Et vous risquez bien de le retrouver rapidement sur ce blog…

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les polars bien construits ;
  • Les « cold cases » (affaires classées) vous intéressent ;
  • Vous recherchez un roman prenant pour les vacances.

Le petit plus :

La couverture, une nouvelle fois ! Cette maison en pierre et au toit d’ardoise, cette porte jaune, ce sont elles qui m’ont poussée à acheter le livre !

Vous voulez lire d’autres histoires bizarres se déroulant sur une île ? Je vous propose L’Île de Tôkyô.

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Editions du Rouergue, 2017, pour la traduction française
ISBN : 978-2-8126-1657-0
383 pages
Titre original : Freeze Frame © Peter May, 2009
Traduit de l’anglais par Ariane Bataille
Littérature britannique