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L’Enchanteur, René Barjavel

L’Enchanteur, René Barjavel

Selon le dictionnaire, l’Enchanteur est un personnage doté de pouvoirs magiques. C’est aussi quelqu’un capable de charmer et de captiver ceux qui l’entourent. Captivant, c’est bien le mot ! Cette « romance arthurienne » je la lis pour la deuxième fois, avec un émerveillement renouvelé. C’est une plongée délicieuse dans la mythologie occidentale et les légendes séculaires de Merlin, du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. Une parenthèse fabuleuse comme sait si bien les écrire le talentueux René Barjavel.

Des histoires

Vous m’étonneriez beaucoup si vous me disiez ne jamais avoir entendu parler de la légende arthurienne. Sauf à venir de l’autre bout du monde.

Il en existe de nombreuses versions, qui se sont enrichies et modifiées au fil des âges, le récit le plus connu pour les français étant celui de Chrétien de Troyes et datant du XIIe siècle. Mais le mythe a des racines profondes et l’on en trouve certaines manifestations dès l’époque des invasions barbares et de la chute de l’empire romain d’Occident.

Avec l’Enchanteur, René Barjavel nous en brosse une sorte de synthèse avec pour thème central, une quête du Graal orchestrée par Merlin. On y croise les plus célèbres personnages de la légende : le roi Arthur ; son épouse Guenièvre ; le valeureux Lancelot du Lac, qui en est éperdument amoureux ; Viviane, sa mère adoptive ; la sulfureuse Morgane et ses plans retors… Mais aussi nombre de preux chevaliers dont les noms, Perceval, Gauvain, Galaad, résonnent encore dans l’imaginaire collectif de Grande-Bretagne, d’Irlande et de la Bretagne continentale.

Le tout est teinté de prodiges et de merveilleux, avec, en filigrane, ces questions qui ne trouveront réponse qu’en fin d’ouvrage : trouvera-t-on le Graal ? Si c’est le cas, qui sera l’heureux élu ? Et que se passera-t-il alors ?

Tout cela peut sembler un peu démodé. Et pourtant, Arthur, sa cour et ses ennemis n’en ont pas fini de faire parler d’eux. Si le roman de René Barjavel date de 1984, les productions modernes restent nombreuses à s’inspirer de ces légendes.

Selon moi, la raison en est simple : nous aimons les histoires et les mondes imaginaires. Que ce soit par oral ou par écrit, raconter une histoire est sans nul doute la façon la plus puissante d’enseigner, d’expliquer, de transmettre et de divertir. C’est la fonction première du conte. Des héros, une quête, des obstacles, des émotions, de la bravoure, de l’honneur et des trahisons… L’Enchanteur n’a pas pris une ride.

Merlin l'Enchanteur
Merlin -Crédits photo Gaby Stein

Un beau mélange

Puisque l’auteur unifie plusieurs versions, il faut qu’il compose avec les croyances des uns et des autres. C’est ainsi que le Graal devient le Saint Graal et que les moines chrétiens succèdent aux druides et à ceux qui les ont précédés, « dont le nom s’est usé et a disparu au long des siècles ».

Les anciens Dieux, quant à eux, se sont « réfugiés dans le fond des sources ou les racines des arbres, dans l’attente d’un temps meilleur où il leur serait de nouveau permis de se montrer et d’aider les humains, dans la limite de leurs pouvoirs et dans l’immense bienveillance de l’Unique père de tout ».

René Barjavel montre ainsi que la légende est universelle. J’aime cette idée que les croyances s’entremêlent, cohabitent et ne sont jamais totalement incompatibles.

Mais la légende est également intemporelle. Qu’importe le décor et les protagonistes de l’époque, elle subsiste. La quête du Graal est relancée régulièrement, comme une sorte de transition entre deux ères. Le roman se déroule au temps des chevaliers mais annonce déjà un avenir nouveau et mouvementé.

« Aux épées vont succéder les écus, et la confusion des faux savoirs sur lesquels souffle le Diable. »

Merlin attend quelque part sur son pommier. Et lorsque les hommes seront perdus, ne sauront plus « ce qu’ils sont ni pourquoi ils sont », peut-être les lancera-t-il dans une nouvelle quête ?

Qui sait si cela n’a pas déjà commencé ?

Difficulté de lecture : **

L’Enchanteur est pour vous si :

  • Vous n’avez pas perdu votre âme d’enfant ;
  • Les mythologies, quelles qu’elles soient, vous fascinent ;
  • Vous avez besoin d’évasion.

Le petit plus : le trait d’humour. Les colères du Diable et les maladresses de l’Enchanteur.

***
L’Enchanteur, René Barjavel
Éditions Denoël, 1984
ISBN : 978-2-07-037841-8
471 pages
Littérature française

Le grand marin, Catherine Poulain

Le grand marin, Catherine Poulain

Puisque nos étés deviennent caniculaires, il me fallait trouver un moyen de me rafraîchir. Le grand marin m’y a aidée. Ce premier roman de Catherine Poulain nous emmène en Alaska, non loin du bout du monde, pour une aventure singulière. Lili, une femme frêle, un moineau d’apparence fragile, a tout quitté pour embarquer sur les bateaux et pêcher. Se fondre dans un univers rude, dangereux, sans concessions. Sans chaleur ?

Un roman d’atmosphère

Lors de la lecture, il me suffisait d’ouvrir le livre pour me retrouver propulsée sur les rivages nord-américains ou sur le pont d’un chalutier balloté par une mer indifférente au destin des hommes.

Catherine Poulain peint ses paysages à petites touches, à coups de phrases courtes et efficaces. Elle décrit le beau comme le pire. Le vol des oiseaux, la danse des vagues, l’odeur fétide des cales, les viscères de poissons collés sur le bois du bateau et les ordres gueulés par les hommes. C’est une poésie brute qui effraie et séduit à la fois.

À terre, les marins se transforment. Ils rôdent de bars en terrains vagues, traînant derrière eux leurs angoisses et leurs regrets. L’alcool, les joints, la dope. Les femmes, quand c’est possible. Mais ce qui frappe avant tout, c’est cette bienveillance latente, une solidarité tenace malgré les conditions et le respect accordé à ceux qui ne ménagent pas leur peine. Sur l’eau comme sur les quais, les marins sont sur le même bateau.

Le bout du monde

Dans cet écosystème sauvage, Lili, peu à peu, trouve sa place. Elle a laissé loin d’elle Manosque et sa Provence natale pour cette terre glacée. Elle est sale et vit sans confort. Son corps s’abîme, elle court au-devant du danger. Mais elle s’en fiche. Ce qu’elle veut, elle, c’est pêcher. C’est étrange, cette obsession, à la fin. Ça ressemble à une fuite. Ça prend parfois des allures de quête.

Que cherche-t-elle ? Être libre ? Elle semble vouloir se perdre. En témoigne sa volonté de finalement l’atteindre, le bout du monde. Ce Point Barrow où il n’y a plus rien que le vide.

« Les contours fixes de ce monde, nous les avons laissés à terre. »

Bah, c’est certain, elle finira noyée, gelée, disloquée entre les mailles d’un filet. Ou embrochée par l’un de ces poissons sans cervelle. Qui donc pourrait l’en empêcher ?

Le grand marin peut-être ?

Difficulté de lecture : **

Le grand marin est pour vous si :

  • Vous aimez l’authenticité ;
  • L’aventure sans retour vous fait rêver ;
  • Vous aimez les romans forts.

L’auteure : Catherine Poulain parle en connaissance de cause puisqu’elle a pêché pendant dix ans en Alaska. Le grand marin pourrait-il être un roman autobiographique ? L’écrivaine s’en défend. L’interview de Catherine Poulain dans la grande librairie vous en dira plus. Mais lisez le livre d’abord…

Vous voulez d’autres histoires de marins ? Voici trois livres qui parlent de mer et de voiliers.

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Le grand marin, Catherine Poulain
Éditions de l’Olivier, 2016
ISBN : 978-2-7578-6865-2
376 pages
Prix du roman Ouest-France-Étonnants Voyageurs /Prix de la ville d’Asnières / Prix Gens de Mer / Prix Joseph Kessel / Prix Compagnie des pêches / Prix Livre & Mer Henri-Queffélec / Prix Nicolas Bouvier / Prix Pierre-Mac Orlan