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La Horde du Contrevent – Alain Damasio

La Horde du Contrevent – Alain Damasio

La science-fiction n’est pas vraiment mon genre de prédilection. Pour tout dire, mes connaissances en la matière se limitent au cycle Fondation, d’Isaac Asimov (que, pour le coup, j’ai dévoré). J’étais donc plutôt sceptique lorsque l’on m’a conseillé La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio. Mais, m’a-t-on dit, ce roman est devenu une véritable référence, tant son univers est original, tant son écriture est travaillée. C’est en effet le moins que l’on puisse dire.

L’histoire

Comment résumer en quelques mots une telle épopée ?

Imaginez un pays battu par les vents, par neuf formes de vent plus ou moins puissantes qui, toutes, déferlent dans le même sens, suivant une direction immuable. Une contrée définie, non par des points cardinaux mais par un amont, d’où vient le souffle et un aval, où se nichent le pouvoir et ceux qui veulent vivre dans des déplacements d’air moins violents.

Imaginez qu’à chaque génération, une horde est formée, quelques dizaines de talents qui se complètent et n’ont d’autre but que de progresser à pied et sous les pires tempêtes, de l’aval vers l’amont, pour enfin découvrir l’origine du vent. Ils y consacrent leur vie et qu’importe s’ils meurent en chemin.

C’est la 34e horde, celle du 9e Golgoth, que nous suivons ici, un groupe rapide et déterminé, le premier qui pourrait bien aller au bout.

« Il faut voir nos figures, nous sommes ridés jusqu’aux âmes. »

Le macrocosme

Un Golgoth ? Non, il ne s’agit pas d’un univers de manga. Notre Golgoth est le « traceur », le meneur qui ouvre la route sans fléchir, sans courber ni dévier. Il fallait un nom fort pour un homme puissant.

Il n’est pas seul. Ses compagnons sont guerrier, éclaireur, scribe, fauconnier ou aéromaître. Ils sont virils ou attentionnés, rustres ou policés, pragmatiques ou poètes. Vingt-trois femmes et hommes auxquels on s’attache.

C’est tout un monde qu’imagine Alain Damasio, avec ses règles et son histoire, ses statuts sociaux et ses peuples. Le lecteur croise ainsi les Obliques (ceux qui louvoient et n’affrontent pas le vent de face), les Abrités (ceux qui se terrent dans des trous pour échapper aux rafales), les Fréoles (ceux qui manient Éole pour propulser leurs machines, qui utilisent les caprices du vent mais ne les ressentent pas aussi intensément que les membres de la horde). Et bien d’autres encore.

Cette terre est étrange, vaguement familière et pourtant si étrangère. Sa géographie alterne déserts minéraux, flaques plus humides qu’un océan, montagnes aux à-pics terrifiants et prairies verdoyantes. Tant de dangers. Et puis les chrones… Je vous laisse les découvrir.

La Horde du Contrevent d'Alain Damasio

La lande, balayée par les vents
(Crédit photo : Florence D., Pixabay)

 

La forme

Il paraît qu’Alain Damasio écrit peu. C’est faux. En réalité, il doit écrire beaucoup pour peaufiner ainsi ses textes et jouer avec la langue comme il le fait. Ses phrases font parfois l’effet d’une brise taquinant un mobile sonore ou un attrape-rêve.

« Le sérieux reste chez lui indémêlable du jeu, cousu dans la même étoffe gestuelle et verbale, la même matrice filante. »

Et parfois il en fait trop, je trouve, perdant le lecteur dans un tourbillon de mots tellement dense qu’il en devient opaque. Heureusement, l’histoire et le suspense rattrapent toujours le lecteur au vol, avant qu’il ne s’épuise.

Chaque personnage de cette Horde du Contrevent possède sa propre voix. Le roman n’a d’ailleurs aucun narrateur extérieur. Chacun parle à tour de rôle présentant les choses comme il ou elle les voit. Exercice périlleux pour un écrivain, dont l’auteur se sort avec brio.

Mais le plus curieux reste pour moi l’usage qu’il fait de la ponctuation. Cette dernière devient un langage à part entière, un mode d’expression décrivant le vent mieux que ne le ferait le vent lui-même. Bizarre ? En effet. Mais également très poétique.

Le message

Chaque personnage a sa propre voix, disais-je. Ses propres démons également. La Horde du Contrevent est plus qu’une simple épopée. Les chrones que croisent les hordiers les forcent à l’introspection et la remise en question. Ce sont leurs peurs qu’ils affrontent à chaque bourrasque. Et le lecteur se prend au jeu et réfléchit à son tour. Qu’y a-t-il au bout, en Extrême-Amont ? Et surtout, cela en vaut-il la peine ?

« la seule trace qui vaille est celle qu’on se crée, à la pointe extrême de ce qu’on peut. »

Difficulté de lecture : ***

La Horde du Contrevent est pour vous si :

  • Vous n’êtes pas contre un peu de science-fiction et d’imaginaire ;
  • Le dépaysement ? Vous aimez ça !
  • Vous n’avez pas peur de ne pas tout maîtriser dans une lecture.

Le petit plus : les pages numérotées dans l’ordre décroissant. Lorsque vous atteindrez le zéro, peut-être connaitrez-vous le fin mot de l’histoire…

***

La horde du contreventAlain Damasio
Éditions Folio SF, 2018
Éditions La Volte, 2004 (1ère édition)
ISBN : 9782070464234
711 pages
Grand prix de l’imaginaire en 2006
Littérature française

Des fleurs pour Algernon – Daniel Keyes

Comment devenir plus intelligent sans efforts ? Impossible ? C’est pourtant ce que les médecins proposent à Charlie.

Charlie Gordon est simple d’esprit. Le mot est même particulièrement faible. L’homme approche de la quarantaine et sait à peine lire et écrire. Il s’occupe de basses besognes dans une boulangerie où les autres apprentis ne cessent de rire à ses dépens. Mais Charlie est tellement naïf qu’il accueille ces plaisanteries avec bonheur, croyant avoir de merveilleux amis.

L’homme montre pourtant une force de caractère peu commune : il veut apprendre et devenir plus intelligent. C’est pourquoi les Professeurs Nemur et Strauss le choisissent pour une toute nouvelle expérience. Une petite opération du cerveau pour devenir un génie en puissance ! L’essai a déjà été tenté avec une souris de laboratoire, surnommée Algernon. L’animal est désormais capable de sortir d’un labyrinthe en un temps record…

Bien sûr, Charlie accepte l’opération. Et ?

Et son intelligence augmente…

Le livre est le compte-rendu que Charlie écrit lui-même chaque jour pour décrire la façon dont il ressent les changements extraordinaires qui se produisent dans son cerveau. La transformation est progressive et l’auteur réussit le tour de force de traduire par écrit cette lente évolution. Les premiers rapports de Charlie sont difficiles à lire : fautes d’orthographe, de grammaire, de conjugaison, de syntaxe. Presque de la phonétique. Avez-vous déjà tenté d’écrire de cette manière ? Pas facile d’éviter les fautes, mais pas si simple non plus de s’en servir sciemment comme figure de style !

Et puis les choses s’améliorent au fil des pages, pour aboutir à des réflexions écrites très précises et pertinentes.

« Ce qui est étrange dans l’acquisition du savoir, c’est que plus j’avance, plus je me rends compte que je ne savais même pas que ce que je ne savais pas existait. »

Le lecteur se retrouve dans le cerveau de Charlie et tente de comprendre le phénomène. Car l’intelligence ne se résume pas à une accumulation de connaissances. Il s’agit également d’appréhender le monde, les émotions et les relations humaines. C’est bien là que les ennuis commencent pour notre héros.

« Il est ironique que toute mon intelligence ne m’aide pas à résoudre un problème comme celui-là. »

« Maintenant je comprends que l’une des grandes raisons d’aller au collège et de s’instruire, c’est d’apprendre que les choses auxquelles on a cru toute sa vie ne sont pas vraies, et que rien n’est ce qu’il paraît être. »

Ce n’est que le début du roman. Qu’arrivera-t-il à Charlie et Algernon ? Parviendront-ils à maîtriser ces aptitudes inespérées qui leur offrent de nouvelles perspectives ? Le suspense augmente avec le QI de Charlie.

Au-delà de cette histoire passionnante, le livre résonne avec nos propres interrogations. Les enfants comprennent leur environnement en grandissant. Et, lorsqu’arrivent l’âge et l’affaiblissement des facultés, le pouvoir diminue et l’existence semble se diluer. Charlie, lui, « naît à la vie » lorsque se développe son intelligence. Sans ce pouvoir de réflexion, il semble presque ne pas exister, ne pas interagir efficacement avec ce et ceux qui l’entourent. Il vit en accéléré. Il a moins de temps que quiconque pour marquer et changer le monde. Laisser une trace, trouver sa place. C’est peut-être ce qui fait écho à nos propres vies. Et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le livre, paru pour la première fois en 1966, a connu un succès croissant pendant plus de quarante ans.

Le roman, lui-même dérivé d’une nouvelle de l’auteur, a été adapté sous de multiples formes : films pour le cinéma ou la télé, pièce de théâtre, spectacle musical et dansant. Si vous vous procurez l’édition augmentée, vous pourrez lire également l’essai dans lequel l’auteur explique en détail la genèse du livre. Pour qui s’intéresse au processus d’écriture, ce bonus est inestimable, d’autant que « Des fleurs pour Algernon » est véritablement l’œuvre d’une vie.

Le roman prend racine dans les propres expériences de l’auteur, et ce, depuis son plus jeune âge (il apprend d’ailleurs seul à lire, avant ses cinq ans !)

« J’ai pu l’écrire parce que ça m’était arrivé. »

Il puise son inspiration et augmente son talent d’écrivain grâce aux innombrables livres qu’il dévore :

« J’ai beaucoup appris des maîtres qui se trouvaient dans la bibliothèque du bateau. »

« Je lis, je lis sans cesse. »

Lentement l’idée prend forme jusqu’aux premières esquisses de la nouvelle puis du roman lui-même. L’auteur est impressionnant de persévérance. Il peaufine son histoire, cent fois sur le métier remet son ouvrage.

« (…) après l’avoir laissé de côté pendant quelques jours, je l’ai relu et j’ai été écœuré. C’était très mauvais. »

« Des fleurs pour Algernon » est un diamant maintes fois ciselé pour aboutir à l’œuvre aujourd’hui reconnue et encensée dans tant de pays.

Pour aller plus loin, vous pouvez également visionner une ou plusieurs des adaptations réalisées à partir du roman. Attention cependant, elles sont loin de coller à l’histoire originale. Mais chacune a son intérêt, mettant l’accent sur certains aspects pour en oublier d’autres (j’évite de comparer un livre avec son film. Pour moi les deux n’ont pas le même objectif, mais sont souvent intéressants l’un et l’autre). J’ai pour ma part regardé deux films, que vous pouvez facilement trouver sur Internet :

  • « Charly », un film de Ralph Nelson, avec Cliff Robertson, sorti en 1968

Daniel Keyes raconte l’histoire de ce film dans son essai. Il a été consulté sans vraiment cautionner. Quelques passages à l’eau de rose, un peu soupe. On y voit les débuts des effets spéciaux au cinéma (amusant, même si ça n’apporte pas grand-chose au récit)

  • « Des fleurs pour Algernon », téléfilm de David Delrieux, avec Julien Boisselier et Hélène de Fougerolles, sorti en 2006

De nombreuses différences avec le livre, sans doute pour « mieux coller » à un public français. Un résultat très émouvant, même si le personnage de Charlie (renommé Charles) y paraît sensiblement moins sympathique.

Dans les deux cas, la performance de l’acteur principal est remarquable. Il s’agit quand même de jouer tour à tour un simple d’esprit et un génie !

Il existe également un film tiré de l’adaptation théâtrale elle-même tirée du roman de Daniel Keyes… (avec Grégory Gadebois, sorti en 2013) Quand je vous disais que ce livre n’en finit pas d’avoir du succès !

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes intéressé par ce qui donne son humanité à une personne
  • Vous estimez que la psychologie des personnages est une composante essentielle d’un roman réussi
  • Vous n’avez pas peur des souris !

Le petit plus : l’édition augmentée propose aussi la nouvelle que l’auteur a écrite avant de la transformer en roman.

***

Edition augmentée

Editions J’ai lu, 2011, pour la traduction française

ISBN : 978-2-290-03272-5

543 pages (300 pages pour le roman)

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Georges H. Gallet

Essai et nouvelle traduits de l’anglais (Etats-Unis) par Henry-Luc Planchat