Au début des années 2020, notre petit monde humain a cessé de tourner. Chacun s’est figé là où il se trouvait, pour une période bien plus longue qu’espéré. Pendant que la nature se délectait de notre absence, nous n’avons eu d’autre choix que de nous évader sur la toile, ou recourir à la lecture. Et la lecture fait voyager. Je l’ai redécouvert avec ces Carnets du Nil blanc, inspirés par l’histoire vraie de leur auteur, John Hopkins. Baroudeur américain mais néanmoins diplômé de Princeton, ce dernier voyage en Amérique du Sud, en Europe et en Afrique, avant de s’établir pour un temps à Tanger.
Voyage à travers l’Afrique
Les Carnets du Nil blanc retracent le périple entrepris par John et son ami Joe à travers l’Afrique, au début des années 60. Ils sont jeunes, ont un diplôme en poche et veulent découvrir le monde plutôt que de s’établir aux États-Unis et d’adopter la vie toute tracée que leurs études leur ont promis.
Et puisque leur idée du voyage est teintée d’aventure, pourquoi ne pas corser un peu le défi ? Les deux compagnons décident de remonter le Nil à moto, engin qu’ils baptisent « Nil blanc » pour l’occasion. Les choses sérieuses commencent en Italie, d’où ils rejoignent la Silice puis la Tunisie. Traversée du désert libyen puis arrivée en Égypte. Ensuite, cap au sud vers le Soudan, l’Ouganda et le Kenya. Les paysages défilent et le lecteur fait le plein d’exotisme.
« Ici résident les mystères les plus profonds de l’humanité. »
À l’époque, les règles sont différentes. Si vous êtes américain, élevé dans un milieu puritain, vous n’êtes pas autorisé à embrasser une jeune fille dans la rue, mais vous pouvez acheter une moto et partir sur les routes sans trop vous soucier de sécurité. Vous pouvez traverser les frontières et flirter avec les dangers qu’offre un continent aussi mystérieux que l’Afrique. Vous pouvez vous retrouver seul, au milieu d’un champ d’artichauts, au pied d’anciens temples grecs, sans aucune silhouette éclairée par la lumière bleue d’un smartphone pour vous gâcher la vue. Existe-t-il encore de tels espaces de découverte aujourd’hui ?
Voyage à travers les cultures
À mesure qu’il progresse, l’auteur s’ouvre l’esprit. Il expérimente le choc des cultures, celui que l’on n’apprend dans aucune université, fut-elle l’une des plus prestigieuses des États-Unis.
Le Nil blanc, vaillante moto, attise la curiosité et aide à créer quelques liens. Et les discussions vont bon train.
« Nous avons parlé des États-Unis et de la Lybie : un pauvre état musulman et un riche pays chrétien avaient énormément à apprendre l’un de l’autre. »
Les quelques occidentaux croisés lors du périple s’avèrent plutôt décevants. Mais d’autres rencontres stimulent l’intellect.
« Si Dieu est vivant quelque part sur cette terre, Il vit dans le cœur des Africains, des Sud-Américains, et de tous les autres individus qui habitent dans des endroits soi-disant oubliés de Dieu et qualifiés, avec suffisance, de tiers-monde. »
Voyage à remonter le temps
Le voyage n’est pas seulement géographique ou culturel. John Hopkins s’imprègne de littérature, à laquelle l’initie son compagnon de route. Les deux hommes suivent les traces des grands écrivains et découvrent l’histoire antique ou plus moderne des pays traversés. De Rome à la crise de Bizerte. Des héros légendaires aux hommes plus controversés du XXe siècle.
« Tout le monde est venu ici. Ulysse, Hannibal, les Romains, les Arabes, les Turcs, les Français, Rommel, Montgomery. »
« Ici le temps s’est arrêté il y a longtemps. »
Les Carnets du Nil blanc offrent enfin une plongée fort instructive dans les années 60. Ils évoquent pêle-mêle crise de Cuba, décolonisation, course à l’espace ou guerre froide. Si vous décidez de les lire, je ne saurai trop vous conseiller de le faire avec Internet à portée de main.
Voyage à remonter la vie
J’allais presque oublier l’objectif même du voyage. Pour le John Hopkins d’alors, tout est possible. Il s’est affranchi de toute contrainte, au grand dam de sa famille. Tous les chemins s’ouvrent devant lui et il peut décider de lire ou d’écrire, de gérer une plantation de café, de courir au-devant de l’aventure. Tous les détours semblent bons plutôt que de suivre l’allée rectiligne des conventions, mariage, maison, travail bien payé.
« J’ai l’intention de continuer mes explorations jusqu’à ce que je trouve ce à quoi je suis destiné. Peu importe que j’y parvienne rapidement ou tardivement ; l’intérêt, c’est de ne pas lâcher l’affaire. »
Peut-être ces carnets vous offriront-ils un voyage dans le temps de votre propre vie ? Que faisiez-vous au même âge ? Que ne faisiez-vous pas ? Quels choix avez-vous dédaignés ? Exploration de vies parallèles, que vous auriez pu mener.
Des traversées de déserts mortels aux accrochages avec les milices locales, de l’inconfort des trajets en bateau à l’angoisse des fièvres mystérieuses, les deux amis trouveront-ils en Afrique ce qu’ils souhaitent faire de leur vie ?
Les Carnets du Nil blanc sont pour vous si :
- Vous aimez l’histoire et la littérature ;
- Vous voulez voyager ;
- Vous aimez changer de perspective. Mais n’est-ce pas la redite du point précédent ?
Le petit plus : la photo de John et Joe, accompagnés du valeureux Nil blanc.
Difficulté de lecture : **
Pour d’autres récits de voyage, retrouvez ici les aventures de Mike Horn et Bernard Ollivier.
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Carnets du Nil Blanc – John Hopkins
Éditions de la Table Ronde, 2021
ISBN : 979-10-371-0902-6
250 pages
Littérature américaine