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Comment ? Encore un Pierre Lemaitre ? Eh bien oui, que voulez-vous, je l’aime, cet auteur.
Mais il s’agit ici de l’autre facette de l’écrivain. Celle qui s’est d’abord exprimée dans le domaine du roman noir. Celle qui lui a valu ses premiers succès et l’a révélé au monde littéraire. Le serpent majuscule est son tout premier manuscrit, qui dormait dans un tiroir depuis 1985. Non abouti, pense l’auteur. J’aimerais un jour être capable d’écrire quelque chose d’aussi « non abouti ». Toujours est-il que cette publication représente son adieu au roman noir puisqu’il est, depuis, passé à un tout autre genre littéraire. Les amateurs de frisson devraient beaucoup y perdre.

Restez jusqu’au bout de cette chronique si vous souhaitez lire un autre avis que le mien !

L’élégance du noir

Les premiers romans de Pierre Lemaitre sont donc des polars / thrillers d’une grande noirceur, mais jamais dépourvus d’élégance. D’autant plus effrayants qu’ils sont bien ancrés dans la vie banale de personnes que nous croisons tous les jours, une femme au foyer (Robe de mariée) ou un cadre au chômage (Cadres noirs) par exemple.

L’accumulation de détails et de petites anomalies quotidiennes se fondent en un crescendo terrifiant. Une dérive inexorable. Le point de non retour est franchi, sans que l’on sache vraiment comment, ni à quel moment. Et la violence, inévitable, finit par se déployer. C’est une sensation, qu’en tant que lectrice, je retrouve également dans les romans de Stephen King.

Pierre Lemaitre possède ce don de nous faire lire un énième roman noir, teinté d’injustices et de sang (mais sans l’horreur de jets d’hémoglobine stroboscopiques), tout en gardant une certaine impression de fraîcheur. Comme s’il parvenait, à chaque fois, à renouveler le genre. C’est ce que j’appelle l’élégance du noir, et c’est également caractéristique du Serpent majuscule.

Tueuse est mon métier

Dans ce tout premier opus, Mathilde est une tueuse à gages vieillissante. Chez le commun des mortels, les stigmates de l’âge deviennent un triste fardeau, encombrant, parfois agaçant. Mais chez Mathilde, les tremblements, la faiblesse de corps et d’esprit, les oublis et autres incohérences se mélangent en un cocktail détonant.

Elle n’a pourtant rien perdu de son instinct de survie ainsi que le constatent ceux qui se mettent en travers de sa route, autant que les malheureux qui ne font que croiser son chemin.

Le sujet n’est pas commun. Qui sera le plus malin ? La tueuse ? Le flic ? La vieillesse ? Les rebondissements pourraient vous surprendre.

Drôle !

Roman noir peut-être, mais pas dépourvu d’humour. Bien au contraire. L’auteur omet l’aspect émotionnel et dramatique des meurtres pour se concentrer sur les pensées de la tueuse. Cette dernière étant dénuée d’empathie, le narrateur n’a nul besoin de pathos pour décrire ce qui se joue. Mathilde est surtout préoccupée par les (petites) tracasseries de sa vie, amplifiées par sa mémoire défaillante. Un voisin pénible, un pipi de chien, et soudain, un mort., et puis un autre. L’effet de contraste est réussi.

L’auteur valse entre les points de vue à la vitesse, parfois, d’une simple association d’idées. Un style dynamique et caustique. En bref, un bon moment de lecture.

Une fois n’est pas coutume, je me décide à émettre une réserve. Selon moi, le titre ne colle pas. L’histoire du serpent ne m’a pas convaincue. Et si vous lisiez le roman pour me donner votre avis sur ce point ?

Difficulté de lecture : **

Le petit plus : ce magnifique dalmatien qui, tout au long de la lecture, vous guettera de ses yeux suspicieux, sans que le jaune pétant de la couverture ne vous permette de l’oublier…

Le serpent majuscule est pour vous si :

– Vous aimez l’humour noir,
– Vous appréciez les histoires originales,
– Vous voulez savoir ce que devient le chien.

Découvrez la trilogie historique de Pierre Lemaitre en commençant par le premier volet, Au revoir là-haut.

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Avant de partir pour de nouvelles lectures, je vous propose la chronique de Philippe Bialek, qui m’a fait l’amitié de me confier ce qu’il avait pensé du Serpent majuscule. Philippe est lui-même auteur, plusieurs fois publié aux Éditions Nord Avril. Voici ce qu’il m’écrit (attention spoiler !) :

LE SERPENT MAJUSCULE

(Ne se mordrait-il pas la queue, par hasard ?)

Sur la forme, pas de problème, on retrouve l’écriture confortable, tellement fluide et efficace, de Pierre Lemaître. Je dis « confortable » parce qu’on s’y plonge avec délice et on s’y sent bien.

Sur le contenu, franchement, je me suis posé des questions. En avançant dans l’intrigue, il y avait de quoi se demander où l’auteur voulait en venir. Ca ressemble à un exercice de style (sujet : vous devez écrire un polar sans concessions sauf à perpétuité) dont l’histoire se construit au fil des pages et des coups de flingue dévastateurs de Mathilde (auxquels on finit d’ailleurs par s’habituer). Celle-là, il ne faut pas la regarder de travers, elle vous met illico deux pruneaux dans le buffet ! L’obsession du nettoyage par le vide (au fait, d’où cela lui vient-il, on ne le sait jamais réellement).

En tout cas, la grosse ficelle du contre-emploi est utilisée jusque la corde, le lieutenant Colombo doit en être jaloux. Le bandeau du livre annonce : « Drôle, immoral, réjouissant ». Ah bon ? Il suffirait d’être immoral pour être drôle ? Honnêtement, cette lecture ne m’a pas trop fait rire.

Une mention particulière au dénouement, le vieux qui retrouve la mémoire pour venir écrabouiller l’inoxydable mamie flingueuse avec son Ami 6 vengeresse. Cette scène me parle, j’ai moi-même appris à conduire sur l’Ami 6 de mon père et je sais que cet engin, pas toujours si amical, peut faire de terribles dégâts ! Mais quand même…

Autant j’ai aimé « Trois jours et une vie », un suspense mené de main de Lemaître, autant j’ai été refroidi par ce Serpent Majuscule au scénario somme toute banal. Bien sûr, c’était son premier roman et on ne peut réussir un chef-d’œuvre à tous les coups, mais il est indéniable qu’on perçoit déjà dans ce coup d’essai les belles qualités littéraires de l’auteur.

C’est dans la confrontation des points de vue que l’on s’enrichit, n’est-ce-pas ? Merci à Philippe Bialek d’avoir tempéré mon enthousiasme, un peu subjectif je l’admets, pour un auteur que j’admire. Il est vrai que le Serpent majuscule est un premier roman, pas aussi abouti que les belles œuvres qui ont suivi. Que cela ne vous empêche pas de le lire, j’adorerais recevoir un troisième avis !

Retrouvez ici ma chronique de lecture sur La créature des 7 vallées (Philippe Bialek), un roman étonnant offrant également un moment de lecture réjouissant ! (La chronique arrive en deuxième dans l’article.)

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Le serpent majuscule (Pierre Lemaitre)
EAN : 9782226392084
Éditions : Albin Michel
336 pages
Date de première publication : 2021
Littérature française