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Animal – Sandrine Collette

Animal – Sandrine Collette

Il arrive parfois que l’on tombe en panne de lecture. Des piles de livres au pied du lit mais pas d’envie. Une sorte de saturation, des neurones en berne. Il faut alors trouver l’histoire qui relancera la machine. Pas un Goncourt compliqué, non. Mais un roman captivant qui, par son imaginaire et son suspense, fera renaître le goût de lire. C’est ce que Sandrine Collette vient d’accomplir pour moi avec son Animal.

Sandrine Collette, star du thriller français

J’avais déjà lu deux de ses précédents romans (Six fourmis blanches, Un vent de cendres) et savais donc qu’il s’agissait d’une valeur sûre.

L’auteure se fait connaître en 2013 en remportant le Grand Prix de la littérature policière avec son premier opus, Des nœuds d’acier. Elle vient de trouver la recette qui fera la joie de nombreux lecteurs : un contexte inédit, une histoire bizarre, un style bien marqué.

Car vous ne trouverez pas de tueurs en série urbains, prévisibles, dans ses romans. Pas de profilers concentrés cherchant à saisir la logique de grands meurtriers. Pas le moindre cliché.

Est-ce parce que Sandrine Collette côtoie l’écriture depuis toujours ? Elle commence son parcours par un bac littéraire.

Est-ce parce qu’elle connaît si bien la nature humaine et ses travers ? L’auteure détient un master en philosophie doublé d’un doctorat en sciences politiques. Elle a également travaillé comme consultante dans le domaine des ressources humaines.

Est-ce parce qu’elle aime la nature et les paysages ruraux ? La romancière possède un élevage de chevaux et s’est adonnée à la restauration de maisons en Champagne et dans le Morvan.

Autant de pistes pour tenter de percer le secret de ses romans.

Animal sauvage, humain en colère

Animal s’ouvre sur une chasse, en plein cœur du Kamtchatka. Lior a une idée fixe, traquer les animaux sauvages. Cette fois, il s’agit d’un ours, rien que ça ! Une masse de 600 kg tout en muscles. Pleine de griffes. Son mari Hadrien la suit tant bien que mal, sans comprendre ce qui la tisonne ainsi, effrayé parfois par le regard trouble de celle qu’il aime. Quand elle chasse, Lior s’éloigne du monde des hommes, animée d’une volonté aussi féroce qu’inexplicable. Inexorablement, le petit groupe s’enfonce dans une nature indomptée, sur les traces d’une bête résolue à ne pas se laisser vaincre.

La frontière entre l’homme et l’animal s’estompe au fil des pages. L’ours prend des allures de chasseur et l’humain s’étonne.

« Comme lui, l’homme armé d’un fusil n’a pas de prédateur dans la nature. Alors l’ours a décidé de lui en faire un. »

L’auteure se risque à une pratique périlleuse : tenter de penser ce que pense l’animal. Mais pense-t-il seulement ? Ou agit-il à l’instinct et rien d’autre ? Cet ours-là est pourtant bien malin, qui balade ainsi les chasseurs et attise leur rage. Un exercice d’écriture très joliment maîtrisé.

La quête

Mais finalement, ce livre ne parle-t-il que de chasse ? D’une femme et d’un ours ? D’un affrontement inévitable ?

Pas seulement. Car bientôt les tigres s’invitent dans cette aventure effrayante. Et l’histoire prend une tout autre tournure. La traque devient quête. Que recherche donc Lior dans ses courses folles ?

Des tigres au Kamtchatka ? Allez savoir !

Vous n’y comprenez plus rien ? Lisez le livre, et lisez-le jusqu’à la dernière page.

Animal est pour vous si :

  • Les grands espaces vous séduisent ;
  • Vous appréciez les romans originaux ;
  • Vous voulez savoir qui de l’ours, du tigre ou de l’humain sortira vainqueur de cette histoire.

Difficulté de lecture : ***

Pour d’autres récits de chasse, pour d’autres voyages initiatiques, lisez la chronique du roman De pierre et d’os (Bérangère Cournut). Cet article se termine aussi par une histoire de tigre ;

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AnimalSandrine Collette
Éditions Denoël, 2019
ISBN : 978-2-207-14974-4
283 pages

De pierre et d’os – Bérengère Cournut

De pierre et d’os – Bérengère Cournut

De pierre et d’os est un petit bijou venu du Grand Nord. Ce roman de Bérangère Cournut offre un captivant mélange de poésie et de dépaysement. Le lecteur marche sur la glace aux côtés d’Uqsuralik, une jeune femme inuit, soudain séparée des siens par une brusque fracture de la banquise. Nous la suivons dans le froid arctique alors qu’elle s’avance, déterminée à survivre et trouver un nouveau foyer. Commence un long parcours initiatique, une quête de sagesse et de liberté, entre traditions et conditions extrêmes.

Perte de repères

Avant de lire De pierre et d’os, je ne connaissais rien à la culture inuit, si ce n’est quelques lieux communs parlant d’igloos ou d’esquimaux. J’ignorais que la banquise pouvait soudainement craquer et emmener hommes et bêtes à la dérive. Je ne savais rien du maniement du kayak ni de la chasse au harpon. Je n’avais jamais entendu aucun des chants récités par les peuples de la toundra.

En nous contant son histoire, Uqsuralik nous fait entrer dans l’inconnu, un monde de rites étranges inspirés par la nature, habité par les esprits autant que les humains. Pour apprécier la beauté de cette lecture, il faut accepter ce qui est différent pour l’observer. Admettre que ces règles étranges qui régissent la société inuit ont leur propre logique. Laissez-vous imprégner : après un temps, vous les trouverez harmonieuses. Elles décrivent une vie rude mais pleine de sens.

« Je crains aussi de chasser sur la toundra, car toutes les armes que je possède – ma lance, mon couteau, mon harpon – ont servi récemment à tuer des animaux marins. Si je touche un animal terrestre avec ça, je vais mettre son esprit en colère. Je préfère encore mourir de faim. »

Il faut accepter de ne pas toujours comprendre. Impossible d’appréhender certains épisodes du voyage d’Uqsuralik avec notre imaginaire d’occidentaux. La poésie de ces pages reste parfois hermétique mais elle berce le lecteur qui se prête au jeu et se laisse porter sans en maîtriser le courant.

Travail titanesque

Au cours de cette immersion je me suis interrogée sur l’auteure. Elle semble si bien connaître le grand Nord et les Inuit. Son nom pourtant sonne si français, francophone, européen ? Peut-elle a-t-elle quelques ancêtres chamanes en Alaska, en Laponie, au Groenland ?

Elle a brouillé les pistes. La banquise dont elle parle n’a ni époque, ni nationalité. Mais De pierre et d’os regorge de références à la culture inuit et au cercle polaire. Celles qui nous sont plus ou moins familières, les paysages blancs, les chiens de traîneau, la traîtrise des icebergs. Mais aussi un millier d’autres détails bien moins évidents : l’allure des campements, les outils de chasse et de pêche, les espèces d’oiseaux et de poissons, les objets rituels, les tabous, les prénoms, vêtements, ustensiles.

Le livre m’a réservé une ultime surprise : Bérangère Cournut n’a jamais vécu chez les Inuit mais elle a tout lu à leur sujet. C’est ce qu’elle explique au moment d’introduire le carnet de photographies qui clôt le roman. De vraies photos exhumées des archives du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Ainsi ce portrait de Magito, jeune femme inuit immortalisée au tout début du XXe siècle. A-t-elle vécu ce qu’a vécu Uqsuralik ?

Source d’empathie

Il y aurait beaucoup à dire à propos du roman et des thèmes qu’il aborde.

Ce que j’en retiens surtout, c’est cette formidable ouverture sur l’autre. Le livre joue son rôle : proposer la découverte d’idées, croyances, modes de vie différents. Il permet d’apprivoiser ce que l’on ne comprend pas. Plutôt que chercher à le détruire. Il montre ce qui existe de meilleur en chacun. Et toutes ses imperfections. En nous parlant de l’autre, il nous renvoie à nous-mêmes.

Qui voudrait « assimiler » les Inuit après avoir lu un tel roman ? Qui voudrait que fonde la banquise ?

De pierre et d’os est pour vous si :

  • Vous voulez entendre la neige crisser sous vos pas ;
  • L’anthropologie vous intéresse ;
  • Vous aimez des formes d’écriture originales.

Difficulté de lecture : **

Le petit plus : la jolie couverture de cette édition, le format du livre, son toucher mat, la qualité de son papier. Un objet que l’on a très envie de conserver longtemps dans sa bibliothèque.

Pour en savoir plus : le magazine édité par la box littéraire Secrets d’auteurs et comportant une interview exclusive de Bérengère Cournut.

Retrouvez enfin l’auteure dans un extrait de l’émission « La grande librairie » posté sur le site des éditions Le Tripode.

De pierre et d’os m’a fait penser à cet autre roman, lu peu de temps auparavant : tigre ! tigre !, de Mochtar Luis. Il s’agit également d’une histoire de survie se déroulant cette fois dans l’île de Sumatra.

Tigre ! Tigre ! - Mochtar Lubis

Cinq hommes se retrouvent traqués par un tigre au beau milieu d’une jungle sauvage. Sous l’effet de la peur se révèlent les faiblesses. Autre climat, autres coutumes, mais pour le lecteur, même leçon d’humanité…

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De pierre et d’osBérangère Cournut
Éditions Le Tripode, 2019
ISBN : 978-2-37055-212-9
219 pages
Prix du roman Fnac 2019
Littérature française

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tigre ! tigre ! – Mochtar Lubis
Éditions du Sonneur, 2019
ISBN : 978-2-37385-170-0
217 pages
Traduit de l’indonésien par Étienne Naveau
Littérature indonésienne

La Cité perdue du Dieu Singe – Douglas Preston

Je suis de la génération « Indiana Jones ». Je n’oublierai jamais le premier opus, dont les effets spéciaux étaient, pour l’époque, éblouissants. Bien sûr, ce n’était « que du cinéma », une histoire et des personnages inventés pour en mettre plein la vue. Dans la réalité, les archéologues sont des gens calmes, des scientifiques confirmés, agenouillés dans la poussière et balayant le désert à l’aide d’une brosse à dents. Vraiment ?

Des aventuriers modernes

Avec La Cité perdue du Dieu Singe, Douglas Preston nous prouve qu’au XXIe siècle, il est encore possible de s’enfoncer dans une jungle inextricable, Stetson sur la tête et machette à la main, d’affronter des serpents aussi agressifs que venimeux, de trébucher sur des reliques et découvrir une civilisation jusqu’alors inconnue. Rien que ça. Et c’est une histoire vraie.

« Et puis s’étaient enchaînées des coïncidences rocambolesques qu’aucun romancier digne de ce nom n’oserait mettre dans un livre. »

Pourtant, ses protagonistes n’aimeraient sans doute pas qu’on les compare au célèbre aventurier du cinéma. Car cette expédition a été très sérieusement préparée.

A la recherche de la cité perdue

Steve Elkins y a travaillé pendant plus de vingt ans. L’homme est réalisateur, passionné d’exploration et d’archéologie (il n’exerce pas officiellement ce métier, mais en a la sensibilité, ayant participé à des recherches universitaires au début de sa carrière). Dès les années 90, il s’intéresse à une légende, très célèbre au Honduras : le pays abriterait une fabuleuse cité blanche, la Cuidad Blanca, fondée il y a bien longtemps par un peuple puissant. On l’appellerait aussi la cité du Dieu Singe. Ses ruines se situeraient au cœur de la Mosquitia, l’une des régions les plus dangereuses au monde, réputée pour son environnement tropical hostile et ses narcotrafiquants.

Pour Steve Elkins, la cité devient une obsession. Il se documente, multiplie les recherches, part à la chasse aux financements, s’entoure d’une équipe compétente et utilise les technologies les plus modernes. En 2012, il localise ce qu’il pense être des ruines dans la Mosquitia. En 2015, il les arpente. C’est à sa ténacité que l’on doit l’incroyable découverte.

Au cœur de cette jungle infestée de parasites, de prédateurs et de singes moqueurs, une culture oubliée s’est développée il y a plus de 500 ans. Ni Maya, ni Aztèque. Un peuple sans nom tant on ne sait rien de lui. Un peuple ignoré pour avoir soudainement disparu et laissé la végétation recouvrir toute trace (ou presque) de son passage. Preuve qu’il existe encore quelques mystères à éclaircir sur cette terre.

« Je ne connais aucun endroit aussi isolé à la surface du globe. »

Des enseignements pour l’avenir

Douglas Preston est du voyage. Il met son talent de romancier au service de l’expédition. Le résultat est ce roman dans lequel il retrace l’aventure, de sa genèse à ses conséquences. C’est aussi l’occasion de mener une réflexion sur les enseignements que peut apporter l’archéologie : pourquoi les civilisations disparaissent-elles ? Et la question qui en découle directement : la nôtre est-elle menacée ?

Le bon sens et les échanges avec de nombreux experts nourrissent son raisonnement. Il évoque certains fléaux modernes et les similitudes avec ce qu’ont connu les sociétés préhispaniques. Déforestation incontrôlée, rivalités humaines, mauvaises décisions, inégalités croissantes, chocs entre cultures opposées, perte de sens…

« Un peuple a besoin d’une histoire pour se connaître, se forger un sentiment d’identité et de fierté, une continuité, une communauté et une foi en l’avenir. »

Qu’est-il donc arrivé aux habitants de La Cité perdue du Dieu Singe ?

Ce livre est pour vous si :

  • Vous n’avez pas peur de patauger dans la boue ;
  • Vous êtes intéressés par les rouages de l’archéologie passée et actuelle ;
  • Vous vous sentez concerné par l’écologie et vous interrogez sur le devenir du monde moderne.

Difficulté de lecture : **

Le petit plus : si vous êtes anglophone, la conférence TEDx de Steve Elkins à Pasadena, au cours de laquelle il raconte, non sans humour, son extraordinaire aventure. Je vous laisse méditer sur sa conclusion : « Chacun d’entre nous a la possibilité de changer le monde (…). Lorsqu’une idée ou une opportunité se présente, nous devons nous lever, agir et ne pas nous contenter de seulement y penser. C’est cela qui fera la différence ! »

Pour approfondir : le magazine « Secrets d’auteurs » de juin 2018, « A la découverte de Douglas Preston et de son dernier roman »

Sur des sujets proches, vous aimerez peut-être : « La conquête des îles de la Terre Ferme » (Alexis Jenni), et « Dans la forêt » (Jean Hegland).

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La Cité perdue du Dieu Singe – Douglas Preston

Editions Albin Michel, 2018 (pour la traduction française)

Traduit de l’anglais (Etats Unis) par Magali Mangin

Titre original : The lost city of the Monkey God

ISBN : 978-2-226-32506-8

382 pages

Littérature américaine

 

L’archipel d’une autre vie – Andreï Makine

Andreï Makine est un écrivain de talent. Il n’a fallu que quelques pages pour m’en convaincre. Dans « L’archipel d’une autre vie », il nous emmène pour un long périple dans la Sibérie extrême-orientale, là où la taïga vient se perdre sur les bords de l’océan Pacifique.

Nous sommes dans les années 50, en pleine guerre froide, et les camps d’internement fleurissent dans cette région de l’empire soviétique. Pavel Gartsev est un jeune militaire russe se débattant pour survivre au sein d’une armée gangrénée par la méfiance et le soupçon. Lorsqu’un prisonnier s’échappe d’un camp proche de son lieu d’entraînement, il est désigné volontaire pour prendre part à la traque. Avec quatre autres militaires, il s’engage dans une folle poursuite à travers la taïga.

L’auteur nous donne à découvrir une nature majestueuse et méconnue, où il est presque facile de chasser tant les animaux ignorent l’existence de l’homme. C’est un monde où la survie n’est pas une mince affaire.

« Le vent se leva, nous nous courbions sous le fouettement de branches battues par la pluie. La taïga morne, hostile, s’ouvrait à contrecœur. »

A mesure que passent les jours et les pages, la poursuite prend des allures de questionnement.

Questionnement sur cette guerre aussi froide qu’absurde, poussant les militaires à des décisions irrationnelles.

Questionnement sur les rapports humains et ce jeu malsain auquel jouent les hommes parce qu’ils ont peur. Vaincre à tout prix, mentir, se comporter en lâche pour prendre le dessus et gagner la sécurité d’une vie sans éclat.

Questionnement enfin sur le sens d’une telle existence. Pour quoi ? Pour qui ?

« (…) nous étions au plus près de ce qu’il y avait en nous de meilleur. »

Mais ne vous y trompez pas ! Le roman n’a rien d’un traité philosophique long et ennuyeux ! C’est avant tout une histoire au suspense subtile et efficace. Vous embarquez pour la taïga avec ce curieux groupe de soldats. Des hommes entraînés et rompus à toutes les cruautés. Qui ont pourtant toutes les peines du monde à rattraper le fugitif. Qui donc est cet évadé ?

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous voulez vous plonger dans la Russie d’après-guerre
  • Vous aimez l’aventure et les grands espaces
  • Vous voulez un roman à la fois prenant et profond, au sujet original

Le petit plus : Andreï Makine a reçu les prix Goncourt, Médicis et Goncourt des lycéens en 1995 pour son roman à caractère autobiographique « Le Testament français ». L’auteur est né en Sibérie et apprend le Français dès son plus jeune âge. Il se réfugie à Paris à la fin des années 80, où il poursuit un brillant parcours universitaire. Ses prix littéraires lui permettent enfin d’obtenir la nationalité de son pays d’accueil en 1996. Il est également élu membre de l’Académie française vingt ans plus tard. D’ailleurs, tous ses romans ont été écrits en Français, une seconde langue dont il a acquis une impressionnante maîtrise. En bref, une trajectoire étonnante et de nombreux romans qu’il me tarde de découvrir !

Vous connaissez cet auteur ? Dites-nous ce que vous pensez de ses livres dans les commentaires !

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« L’archipel d’une autre vie », Andreï Makine

De l’Académie française

Editions du Seuil, août 2016, à l’exception de la langue russe

ISBN : 978-2-02-132917-9

288 pages

Littérature française