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Avec ces Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre tente un exercice littéraire difficile. Écrire le deuxième tome d’une trilogie me semble déjà être un défi de taille : il s’agit d’offrir une certaine continuité avec ce qui précède, sans jamais lasser ni décevoir le lecteur. Mais lorsque le premier tome, en l’occurrence Au Revoir là-haut, a décroché rien de moins que le prix Goncourt, la tentative devient franchement périlleuse. Le pari est-il réussi ?

De folles années

Le premier opus évoquait les multiples formes du traumatisme causé par la première guerre mondiale. Le conflit, traité sous un angle insolite. Avec les Couleurs de l’incendie, nous plongeons dans la suite de l’Histoire. Un épisode souvent survolé par les livres scolaires, éclipsé par deux périodes majeures et terrifiantes du XXe siècle.

Que savons-nous des années 20 et du début de la décennie suivante ? On sourit en pensant à la mode et à la musique, aux cabarets, aux robes à franges, aux porte-cigarettes. On hausse les épaules devant la frénésie boursière et les pendus de l’après jeudi noir. Et on fronce les sourcils en entendant la rumeur nazie dont le grondement sourd ne cesse de croître.

Il y a un peu de tout cela dans le roman de Pierre Lemaitre. Mais il y a surtout bien plus que cela. L’auteur y suit Madeleine Péricourt, héritière d’un empire bancaire qu’il lui faut gérer alors qu’elle n’y connaît rien et que son jeune fils souffre physiquement et psychologiquement. Elle est heureusement entourée d’hommes bienveillants et désintéressés qui ne pensent qu’à son bonheur. Enfin, presque. Enfin, pas vraiment.

« Le facteur commun à tous ces sujets était évidemment l’argent. La politique disait s’il serait possible d’en gagner, l’économie, combien on pourrait en gagner, l’industrie, de quelle manière on pourrait le faire, et les femmes, de quelle façon on pourrait le dépenser. »

Ce sont donc les histoires de femmes de l’époque que nous conte Pierre Lemaitre dans les Couleurs de l’incendie. Elles ont été malmenées par la guerre, elles le sont encore lorsque les hommes reviennent des champs de bataille. Mais elles ont de la ressource. Chacune à sa manière use des singularités d’une France perturbée pour trouver sa place et survivre.

Les années 20 - Couleurs de l'incendie

De folles années !
(Crédit image : Annelise Batista via Pixabay)

Voici l’histoire d’une terrible vengeance pour explorer cette période entre deux cataclysmes, une époque complexe et méconnue qui, dans certaines pages, nous semble étonnamment familière.

« C’était un signe des temps, tout était objet de division, de contestation, de désaccord. »

Le maître des personnages exaspérants

Dans le précédent volet, j’avais déjà été frappée par la manière dont l’auteur crée ses personnages, leur donne une consistance et les fait évoluer sous nos yeux. Son art s’exprime une nouvelle fois dans les Couleurs de l’incendie. On y découvre à nouveau de vrais salauds, aux côtés desquels le Pradelle d’Au revoir là-haut fait mine d’enfant de cœur. Des brutes d’autant plus détestables qu’elles n’en ont pas l’air, qu’elles ne semblent même pas avoir conscience d’être du côté obscur. Elles agissent comme n’importe qui dans son bon droit. Le tout souligné par un humour latent et diablement efficace.

« On aurait dit un inquisiteur du Moyen-Âge. »

Leurs souffre-douleurs quant à eux sont parfois d’une naïveté à la limite du supportable. Quand Pierre Lemaitre brosse un portrait, il pousse le trait jusqu’au bout. Sans jamais tomber dans la caricature. On ne devient pas Goncourt pour rien.  

Mais ne croyez pas que tout reste figé à l’infini, sans nuances, le bien d’un côté, le mal de l’autre. Comme dans tous les bons romans, la plupart des protagonistes finissent par changer. L’assurance se transforme en peur, l’ambition en faiblesse, la faiblesse en ambition.

Il arrive même que l’on ait pitié des méchants et l’envie irrépressible de blâmer les victimes. Pierre Lemaitre s’ingénie à utiliser du très noir et du très blanc, à les mélanger tout au long des pages pour aboutir à des couleurs indéfinissables. Celles de l’incendie sans doute.

Les Couleurs de l’incendie est pour vous si :

  • Vous aimez l’humour subtil ;
  • Les romans historiques figurent en bonne place dans votre bibliothèque ;
  • Vous voulez être prêt pour la parution imminente du troisième tome.

Difficulté de lecture : **

Une dernière chose : pour répondre à ma propre question, selon moi, le pari est réussi. Même si Au revoir là-haut reste tout là-haut dans mon propre classement… Vous avez lu les deux romans ? Dites-moi donc ce que vous en avez pensé !

Ce livre faisait partie d’une sélection de la box littéraire Secrets d’Auteurs, qui décidément ne manque jamais un bon roman.

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Couleurs de l’incendie – Pierre Lemaitre
Éditions Albin Michel, 2018
ISBN : 978-2-226-39212-1
535 pages
Littérature française