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La créativité est un concept en vogue. Etre créatif est devenu une qualité, on parle du fantaisiste cerveau droit, par opposition à la rigueur de son gauche homologue. C’est un peu le grand fourre-tout de nos envies non abouties et de notre soif d’autre chose.

Mais que veut réellement dire ce mot magique ? C’est le thème que fouille Twyla Tharp dans son « réflexe créatif, l’acquérir et l’utiliser au quotidien ». Depuis 40 ans, cette chorégraphe de renom imagine et met en scène des spectacles de danse en créant, « à partir de rien, quelque chose d’à la fois grand et satisfaisant ».

C’est d’ailleurs sur cette notion d’espace vide ou de page blanche que s’ouvre cette synthèse de son expérience. L’auteur commence par nous décomplexer : « le talent n’est pas inné ». Elle nous enseigne comment mettre en place de bonnes habitudes et des routines pour faire de la créativité un réflexe. C’est alors que parfois le miracle se produit : le travail se frotte à la passion et l’étincelle de génie apparaît.

Dans la suite de l’ouvrage, Twyla Tharp nous donne des pistes pour développer ce fameux réflexe créatif. Elle multiplie les exemples, tentant chaque fois que possible de sortir de la danse, son domaine de prédilection. Le tout est de faire comprendre le principe, charge à chacun de l’ajuster à ses propres activités, de prendre, adapter ce qui est utile à sa personnalité, et de laisser le reste. Chaque chapitre se termine par quelques exercices à tenter et répéter, tel un musicien faisant ses gammes ou un sportif échauffant ses muscles. L’entraînement permet d’être prêt et faire en sorte qu’une touche, voire une bonne dose de créativité se niche dans chacune de nos réalisations.

Voici certains de ces conseils et exercices que j’ai trouvé intéressants notamment pour le domaine de l’écriture.

La première chose est de se créer des rituels. Pour un écrivain, il pourrait s’agir de la séquence suivante : se lever aux aurores, marcher pour s’aérer, se préparer un café et installer son chat sur la chaise d’à côté… Répéter chaque jour les mêmes gestes (soigneusement choisis, ceux qui nous plaisent et nous mettent dans le bon état d’esprit) permet de conditionner le cerveau et lui envoyer un signal : l’heure est venue de créer !

Le tout premier exercice conseillé par l’auteur me plaît beaucoup et je le pratique déjà : se choisir un stylo (ça peut aussi être un smartphone ou le fameux nuage virtuel) et le garder sur soi afin de capturer les belles idées qui passent et souvent disparaissent trop vite ! Il faut également savoir affronter ses peurs : les identifier et les noter aide à les désamorcer. Un autre conseil, que tous les accros à Facebook connaissent bien : pour laisser libre cours à sa créativité, il est important de couper les distractions ! C’est l’exercice de « la semaine sans ».

Tout cela paraît un peu simpliste, mais c’est un début qu’il n’est pas inutile de rappeler.

« Voilà à quoi servent avant tout les rituels de préparation : ils nous arment de courage comme de confiance en nous. »

La suite est plus complexe. L’auteur nous dit l’importance de se connaître et nous propose de répondre à 33 questions pour mieux cerner notre « ADN créatif ». Elle nous incite à travailler les différents types de mémoires (celle des souvenirs, des émotions, des perceptions, la mémoire de ce qui a déjà été fait). Elle nous conseille de développer notre propre système de rangement pour mieux classer les idées issues de l’inévitable travail de préparation d’un projet. Cette boîte à archives (ou cette pochette, ou ce fichier, réel ou virtuel) devient « le dépositaire de votre potentiel de créativité ».

Puis vient le moment du « grattage »… Gratter la surface des choses pour en sortir les petites inspirations qui donneront les grandes idées. Il s’agit de lire, sortir, écouter, visiter, contempler, examiner. Partez en expédition « avec la ferme intention de revenir en ayant appris quelque chose au passage ». Allez au musée, en forêt, dans un hall de gare, à la bibliothèque, au centre commercial, au commissariat, à la ferme… Tout dépend de votre objectif. Les possibilités sont infinies.

« Les idées existent partout autour de vous. »

Twyla Tharp poursuit et passe en revue les grandes caractéristiques et les aléas d’un projet créatif :

  • Les imprévus, souvent eux-mêmes sources d’inspiration. La chance qu’il faut savoir reconnaître et accueillir. Les erreurs qui font avancer. Les limites de temps ou d’argent : « à ceux qu’ils souhaitent anéantir, les dieux offrent des ressources illimitées. » L’auteur nous incite à nous mettre dans l’inconfort, nous rebeller, faire l’inverse de ce qui est habituel, générer de la friction. Car, dit-elle, « la créativité est un défi. Vous remettez en cause le statu quo, les principes et les vérités établies. »
  • La quête de la colonne vertébrale du projet en question et les éventuels thèmes sous-jacents. C’est le fil rouge, la structure qui permet de ne pas se perdre en chemin.
  • Les compétences qui permettent de maîtriser « à la perfection les savoir-faire de base du métier pour que la créativité s’élève sur des fondations solides. » La chorégraphe nous recommande de travailler nos forces, mais aussi nos faiblesses, d’alterner les genres pour progresser sans cesse. Listez vos compétences, choisissez-en une et imaginez ce que vous feriez si vous en étiez privé.
  • Les périodes ultra-créatives (que l’auteur appelle sillons) et les phases de creux (les tranchées). Pour éviter les pannes d’inspiration, un exercice tout simple : « construire une passerelle vers le lendemain », ainsi que le faisait Hemingway. Le principe est de terminer sa journée sans en avoir épuisé toutes les idées, ce qui laisse une piste pour redémarrer du bon pied le lendemain.
  • Les échecs. Est-il encore besoin de répéter à quel point ceux-ci peuvent être formateurs ?

Enfin Twyla Tharp termine sur un dernier conseil : ne pas croire que créativité rime avec jeunesse. Il est important de « tenir sur la durée ». Ce que l’on perd en énergie ou en effervescence, on le gagne en sagesse et en expérience. Et si l’on parvient à nourrir sa créativité, il est possible d’atteindre la maîtrise, « but ultime de tout artiste » :

« Quand vous arrivez à faire surgir la beauté et le merveilleux de la pierre d’angle qui avait été rejetée, vous avez atteint la maîtrise ».

Cet article n’est qu’un bref résumé et ne saurait remplacer la découverte des astuces et exemples proposés par l’auteur. Selon votre domaine d’activité, certains exercices vous paraîtront sans doute un peu ridicules et inutiles. Mais c’est là sans doute que réside tout l’intérêt de la démarche : découvrir et tenter de nouvelles expériences pour s’ouvrir de nouveaux horizons.

Twyla Tharp est une passionnée, exerçant son métier sans compter. Il y a dans son recueil quelques principes de vie qui dépassent largement le domaine artistique : la discipline, la curiosité, l’humilité, la persévérance, la façon d’aborder les relations humaines. Que vous adhériez ou pas à la philosophie qui y est déployée, le livre mérite sa place au rayon du développement personnel.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous êtes en panne d’inspiration ou craignez la feuille blanche
  • Vous avez envie de sortir des sentiers battus
  • Vous aimez expérimenter

Le petit plus : la mise en page originale et colorée (on y parle quand même de créativité !) J’aime particulièrement les pages rouges indiquant le début de chaque chapitre. Elles permettent de se repérer facilement et visualiser la composition du livre ! Un exemple à suivre…

Autre petit plus : la découverte du monde de la danse et du métier de chorégraphe. Personnellement, je n’y connaissais rien. La créativité pour moi évoquait surtout les domaines évidents de la peinture, la sculpture ou l’écriture. Je ne m’étais jamais interrogée sur la créativité du mouvement et l’inspiration qui invente de nouveaux pas de danse. Twyla Tharp a pointé l’une de mes lacunes :

« J’espère simplement que vous avez déjà assisté à un ballet et que vous avez pu voir sur scène une compagnie de danse. Si ce n’était pas le cas, quel dommage ; car ce serait comme si vous m’avouiez n’avoir jamais ouvert un roman (…) »

Oups ! Quelqu’un pourrait-il conseiller une œuvre dansante et musicale à la néophyte que je suis ?