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Connaissez-vous le film « Les oiseaux », d’Alfred Hitchcock ? Oui, sans doute. C’est devenu une référence, au même titre que « La mort aux trousses » ou « Fenêtre sur cour ».

Saviez-vous que ce film culte était tiré d’un recueil de nouvelles « The Birds and Other Stories », de l’auteur Daphné du Maurier, publié en 1952 ?

Daphné du Maurier… C’est cette jolie femme, un peu rebelle, que vous voyez sur la photo mise en avant dans cet article. Ecrivain britannique du XXème siècle, aux origines françaises revendiquées. Auteur qui a fasciné Tatiana de Rosnay à tel point qu’elle a écrit cette magnifique biographie, pour moi premier coup de cœur de l’année 2017.

« Je l’ai décrite comme si je la filmais, caméra à l’épaule, afin que mes lecteurs comprennent d’emblée qui elle était. », peut-on lire dans la préface. Comme beaucoup, grâce à ce livre, j’ai été envoûtée par Daphné du Maurier, femme libre et résolument moderne, écrivain souvent boudé par la critique, au talent pourtant incontestable. J’ignore qui elle était vraiment, ne la connaissant que par le biais de ce portrait. J’ai très envie de croire qu’il lui ressemble, ainsi que le souhaite Tatiana de Rosnay. C’est en tout cas l’impression qu’il donne.

Vous n’aimez pas les biographies ? Pas d’inquiétude. Celle-ci est tout, sauf une liste de lieux, dates ou faits froidement énoncés. On accompagne Daphné du Maurier, on écrit avec elle, on devient Daphné du Maurier. J’ai découvert une romancière hors pair, hors normes, hors de son temps également car, à bien des égards, en avance sur l’époque.

Enfant, ce n’est pas une petite fille comme les autres. Elle mène la danse.

« Daphné daigne interpréter une fille seulement si cette dernière est héroïque et en armure, comme Jeanne d’Arc. »

Plus tard, elle assume ce côté viril, elle déteste porter des jupes et ne dédaigne pas l’amour des femmes ! Et c’est bien la voix d’Eric Avon, ce double masculin qu’elle s’est inventé, que l’on entend dans certains de ses romans.

Plus que tout, elle veut rester libre, loin des contraintes sociales et des mondanités. L’écriture lui offre son indépendance financière.

« (…) c’est écrire qui prend le dessus, écrire et gagner sa vie, vivre de sa plume, ne dépendre de personne, ni d’un mari ni de ses parents. »

Elle connaît son plus grand succès avec le célèbre « Rebecca », roman au suspense rampant qui la met en lumière. Le livre se vend, en Angleterre, aux Etats-Unis, puis dans de nombreux autres pays. C’est alors que la critique littéraire s’en mêle et commence à mépriser un tel engouement populaire :

« Les critiques ne vous pardonneront jamais le succès de Rebecca », lui dit son ami Arthur Quiller-Couch. Daphné du Maurier est jaugée, jugée, classée dans un genre qui lui ressemble si peu.

« Pourquoi est-ce que Rebecca est si vite catalogué « roman de gare » destiné aux midinettes assoiffées de romantisme ? Pourquoi brandir encore et toujours l’héritage des sœurs Brontë, au détriment du travail de Daphné, jugé inférieur et populaire ? »

Romanesque, peut-être, au sens premier du terme. Mais romantique, certainement pas ! Dans ses écrits, l’auteur n’hésite pas à choquer ses contemporains (on l’est sans doute moins aujourd’hui), elle y convoque sa part sombre, ce que l’amour et les émotions humaines peuvent avoir de plus noir :

« Il n’est question que de tromperies, vanités, manipulation, folie. Sa plume est mordante, enlevée, étonnamment caustique pour quelqu’un d’aussi jeune. »

« Elle préfère faire peur, déranger, donner le frisson, empêcher de dormir, que de se ranger du côté du lisse, du facile, de l’évident, de l’oubliable. »

Plus que le récit d’une vie, « Manderley for ever » est la genèse d’une œuvre littéraire réfléchie. Tatiana de Rosnay y explore un parcours d’écrivain : les débuts hésitants, les doutes, la détermination, les frénésies d’écriture, les inspirations.

Daphné du Maurier est profondément marquée par les lieux qu’elle arpente : sa Cornouailles chérie, la France, l’Italie. Ses romans sont emprunts de l’atmosphère des bâtisses qu’elle croise ou qu’elle habite. Manderley est devenu célèbre. C’est le manoir du roman « Rebecca », hanté par les secrets et la jalousie. Il fut inspiré par d’autres demeures, bien réelles, telle Menabilly, qu’elle seule aimait vraiment et où elle a vécu pendant plus de vingt ans :

« Est-ce mal, d’aimer la pierre comme si c’était une personne ? »

La romancière s’inspire également des personnes qui ont compté dans sa vie, son grand-père artiste, son père acteur, et ces innombrables écrivains qu’elle lit avec ferveur.

La biographie nous apprend ses rituels d’écriture, ces épisodes où elle s’isole, obsédée par ses propres personnages, délaissant sa vie de famille, et ignorant qu’autour d’elle, le monde continue de tourner.

Il y aurait tant à dire ! Cet article n’est qu’un pale reflet de ce passionnant récit de vie. J’avais déjà lu « Rebecca » et « l’Auberge de la Jamaïque ». Je n’ai plus qu’une envie : poursuivre ma découverte avec les recueils de nouvelles et autres romans, « Ma cousine Rachel », « la crique du français », pour n’en citer que deux.

N’en déplaise à la critique littéraire.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Le processus d’écriture vous intéresse
  • Vous voulez partir à la découverte d’un auteur souvent méconnu du public français d’aujourd’hui
  • Vous aimez l’ambiance du XXème siècle

Les livres de Daphné du Maurier sont pour vous si :

  • Vous aimez les romans des sœurs Brontë (vous y trouverez des ressemblances, mais l’écriture de Daphné du Maurier est plus moderne et ses sujets plus sombres et psychologiques)
  • Vous aimez les aventures, les atmosphères inquiétantes et les secrets

Le petit plus : « Rebecca », le film, sorti en 1940. Parmi les adaptations de ses romans menées par Alfred Hitchcock, c’est la seule que Daphné du Maurier ait trouvé acceptable (il y en a eu trois : Les Oiseaux, Rebecca, l’Auberge de la Jamaïque). Le film est relativement fidèle à l’œuvre originale, même si la logique commerciale en a modifié le dénouement.

Autre petit plus : les photos de famille insérées dans la biographie. Voici également l’une des rares vidéos de Daphné du Maurier, à Menabilly, sa demeure fétiche. C’est elle-même qui la commente, en la redécouvrant quelques années plus tard (c’est en anglais, mais vous pouvez simplement vous laisser porter par les images. Voyez l’allure de l’auteur, son habit masculin et son pas décidé) :  Vidéo Daphné du Maurier à Menabilly

Pour aller plus loin : vous trouverez ici un article de l’Express décrivant l’excellent travail de Tatiana de Rosnay et sa passion pour la famille du Maurier.

http://www.lexpress.fr/styles/familles-royales/tatiana-de-rosnay-sur-les-traces-de-daphne-du-maurier_1657920.html

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Livre de poche

1ère publication aux éditions Albin Michel / Héloïse d’Ormesson en 2015

ISBN : 978-2-253-06792-4

544 pages

Littérature française