Sélectionner une page

Vous recherchez un roman à la fois instructif et atypique ? Lisez donc La capitale, de Robert Menasse ! Au moment d’écrire cette chronique, me voilà bien embarrassée. Tant à dire… Pourtant rien ne me vient à l’esprit. Car c’est un livre complexe qui ennuie et captive tout à la fois, traitant de thèmes essentiels et interrogeant notre identité profonde. Un peu à l’image de cette Union européenne dont il est ici question. Voici finalement ce que j’ai retiré de cette lecture…

L’Union européenne, cette inconnue

Je suis née en France, bien après la signature du traité de Rome. Au collège, on m’a parlé de CEE, de CECA, de marché unique et du mur de Berlin. Lorsque j’étais étudiante, je pensais chimie et concours, et n’entendais que d’une oreille les discussions à propos de « Maastricht » ou de « Schengen ». En tant que professionnelle débutante, j’ai vécu, perplexe, le passage à l’euro.

Et ainsi de suite.

J’ai grandi avec l’Europe, omniprésente, autant qu’avec le sentiment de sécurité patiemment instauré dans nos contrées (et seulement dans nos contrées) au lendemain de la seconde guerre mondiale. Je suis donc une terrienne éminemment privilégiée.

Robert Menasse me le rappelle dans La capitale. Difficile d’écrire le résumé d’un tel roman ! Un meurtre a eu lieu à Bruxelles ; la Direction générale de la culture prépare un événement pour redorer le blason de la Commission européenne auprès du grand public ; une fonctionnaire ambitieuse enrage de ne pas avoir obtenu la situation qu’elle briguait ; un cochon fou court dans les rues et terrorise les passants, etc.

Les personnages se croisent dans ce roman, souvent sans se voir ni comprendre ce qui se joue. Tous ont pourtant un point commun : ils appartiennent à l’Europe et ont contribué à la bâtir telle qu’elle est aujourd’hui. L’Europe, avec ses nobles causes, ses absurdités et ses coulisses.

Une nébuleuse. D’ailleurs, l’Union européenne, qu’en savez-vous vraiment ? En connaissez-vous l’histoire, le fonctionnement, la raison d’être ?

Je me suis moi-même interrogée pour m’apercevoir que j’avais beaucoup oublié et ignorais les fondamentaux de ce qui, pourtant, fait partie intégrante de ma vie quotidienne. Merci donc à l’auteur pour cette prise de conscience.

Et pour ceux d’entre vous qui aimeraient aussi se rafraîchir la mémoire, voici deux liens intéressants, pour reprendre les choses à leur début :

Ça ne mange pas de pain.

Un style symbole de l’Union européenne

Mais revenons-en au roman.

Une poignée de personnages donc, de nationalités variées (grecque, allemande, belge, autrichienne, polonaise, etc.) et d’aspirations diverses. Chacun possède ses propres motivations, son expérience, son niveau de sagesse. Jeunes, vieux, malades, dépressifs, arrivistes, idéalistes, manipulateurs… Un mélange des genres détonnant.

Le style est lent, plein de tours et de détours. Des problèmes et des solutions apparaissent sans pour autant se rencontrer. L’écriture emprunte autant de couloirs qu’il n’en existe sans doute dans les grands bâtiments bruxellois dédiés aux affaires européennes.

« L’Europe est un chantier où l’on s’égare. »

Robert Menasse s’attache à décrire les lourdeurs administratives, les manigances des uns et des autres et les incongruités propres à ces institutions européennes : comment diable faire progresser une barque aussi massive, quand chacun souque dans un sens différent, selon son propre rythme, avec ses propres rames ?

Au milieu de ce beau monde court un cochon affolé, métaphore de l’unité économique si difficile à mettre en place.

Il peut s’inquiéter, le cochon, tout le monde veut sa peau.

L’ensemble ne manque pas d’humour, en témoignent les réactions burlesques des journalistes et autres experts de pacotille à propos du fait divers.

Bruxelles, La capitale, Robert Menasse
Bruxelles, La Commission européenne
(crédits photo NakNakNak)

Robert Menasse, défenseur de l’UE

Mais ne croyez pas pour autant que Robert Menasse soit un détracteur, voire un opposant à l’Union européenne. Bien au contraire. Le fait qu’il en dénonce les dysfonctionnements n’apporte que plus de force à son plaidoyer.

L’autre grand thème du roman réside dans la genèse même de l’idée européenne. A l’heure des grandes crises, crash financier, Brexit, terrorisme, afflux de migrants, beaucoup oublient en effet ce qui a motivé la création de ces institutions.

« Jamais plus – ça, c’est l’Europe. Nous sommes la morale de l’Histoire ! »

L’auteur rappelle que l’Europe est née au lendemain de la guerre pour mettre fin aux déchirements entre les pays du Vieux Continent. Il fallait se préserver à jamais des horreurs de l’holocauste et « empêcher, à l’avenir, l’égoïsme national ».

Le nationalisme… Ou la cause incontournable des conflits, du racisme et de la négation des Droits de l’Homme.

Telle est la grande idée que défend l’auteur.

Telle est la grande idée que défend avec brio l’un de ses personnages dans un discours mémorable, assorti d’une proposition inédite : la vision utopique d’une Europe transcendant la souveraineté des nations.

Vous êtes-vous déjà demandé ce qui définissait vos origines ? Ou plutôt l’aspect géographique de vos origines ? Êtes-vous attaché à votre pays, votre région, votre village, au point parfois d’en détester votre voisin ? Ou d’en avoir peur ?

Nous faire réfléchir à ces questions en apparence anodines est l’un des grands mérites de ce roman. L’Europe est un héritage. Que choisirons-nous d’en faire ?

La capitale de Robert Menasse est pour vous si :

  • Vous appréciez l’humour qui se mérite et les intrigues progressant lentement (mais sûrement) ;
  • La multiplicité des personnages ne vous effraie pas ;
  • Vous aimez réfléchir aux grandes controverses du monde actuel.

Difficulté de lecture : ***

Ce livre fait partie de la sélection de la box littéraire Secrets d’Auteurs.  Le magazine qui l’accompagne vous propose de partir à la rencontre de Robert Menasse mais aussi d’Olivier Mannoni, traducteur de ce roman. Il contient par ailleurs une présentation intéressante de la traduction contemporaine et de ses enjeux.

Le petit plus : l’atmosphère bruxelloise qui imprègne le roman.

***

La capitale, Robert Menasse
Éditions Verdier pour la traduction française, 2019
ISBN : 978-2-37856-010-2
Titre original : Die Hauptstadt
Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Mannoni
439 pages
A reçu le soutien du ministère des Arts et de la Culture autrichien