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Malgré sa jolie couverture, voici un livre que je n’aurais pas eu l’idée de lire si je n’étais tombée, par hasard, sur une vidéo Facebook postée par une grande libraire de ma région. Merci à Catherine de m’avoir donné l’envie d’embarquer pour Haïti. J’ai fait un voyage à la fois instructif et terrifiant.

Mireille est haïtienne mais vit aux Etats-Unis avec son fils et son mari américain. Lors d’une visite à sa famille, en Haïti, elle est enlevée devant la maison de ses parents et sous les yeux de ses proches. Commence alors un long calvaire : treize jours. Pas si long ? Bien sûr que si. Treize jours, c’est suffisant pour bouleverser à jamais l’existence d’une femme, si forte soit-elle.

Si vous pensez lire un polar, détrompez-vous. Il ne s’agit ni d’une enquête, ni de la description horrifique d’évènements brutaux uniquement alignés pour susciter la peur.

Le suspense est là bien sûr. Difficile de lâcher le livre en cours de route. On suit cette femme au long de sa captivité et dans les semaines qui suivent, lorsqu’elle tente de se reconstruire. On s’angoisse en découvrant ce qu’elle subit.

Pourtant le roman va plus loin.

Connaissez-vous Haïti ? Cette île si lointaine où l’on parle Français. Cette île à l’histoire tumultueuse, autrefois objet de nombreuses convoitises, cible des ouragans et des séismes. Ce coin de terre où le paradis et l’enfer se mêlent de manière déroutante.

« il n’y avait aucun autre endroit au monde à la fois si beau et si laid, si plein d’espoir et si désespéré. »

Dans « Treize jours », l’auteur explore les contrastes de son pays d’origine qui est aussi celui de Mireille. Misère et richesse extrêmes se côtoient, fiertés et rancœurs s’affrontent violemment.

Cette île des contraires est elle-même opposée à la vie occidentale menée outre-Atlantique : La prisonnière se remémore les grandes étapes de son existence et confronte les coutumes haïtiennes à ses habitudes américaines.

« Il y a trois Haïti : le pays que les Américains connaissent, les pays que les Haïtiens connaissent et le pays que je croyais connaître. »

Ces différences se retrouvent d’ailleurs au sein même de son couple. Pour l’Européenne que je suis, Mireille l’Haïtienne a parfois des réactions étranges vis-à-vis de son mari l’Américain, et le roman le juge sévèrement. Suis-je dans le vrai, ou simplement influencée par mes propres origines ? Quoi qu’il en soit, je reste infiniment sensible à ce qu’elle vit en tant que femme.

Et c’est là l’autre thème du livre, la condition féminine, quels que soient le contexte et la culture des uns et des autres. Les femmes dirigées, manipulées, violentées, violées, détruites, annihilées. Jamais en totale sécurité dans un monde d’hommes. Souffrances physiques et morales. Atteintes faites au corps et à l’identité. Agressions plus subtiles aussi, lorsque la domination masculine étouffe le féminin. Le roman aborde le sujet d’une façon inédite, par le biais de cette histoire, fiction aux relents de réalité.

Tout cela se mélange en une réflexion extrêmement intéressante propre à élargir le champ de vos idées ! Laissez-vous tenter par ce voyage déstabilisant. Vous en sortirez plus riche.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous voulez être dépaysé
  • Vous aimez les remises en cause, les vôtres et celles des autres
  • Vous n’avez pas l’âme trop sensible (pas de scènes d’horreur gratuites, mais une évocation de faits lorsqu’elle est nécessaire. Les épisodes de captivité alternent avec les souvenirs de Mireille, ce qui relâche la tension à point nommé et permet la réflexion)

Le petit plus : si vous êtes anglophone, vous pouvez visiter le site de l’auteur, découvrir ses autres titres et suivre ses billets d’humeur.

http://www.roxanegay.com/writing/

Et voici la vidéo de Catherine, qui m’a donné envie de lire ce livre :

***

Paru aux éditions Denoël, 2017

ISBN : 978.2.207.13594.5

478 pages

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Santiago Artozqui

Titre original : An Untamed State

Littérature américaine