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Leurs enfants après eux est une plongée sans filin de sécurité dans la France des années 90. Mieux (ou peut-être pire), c’est la découverte du monde confiné des gagne-petit (terme employé sans jugement par l’auteur), dans l’écosystème d’une vallée ravagée par l’effondrement de l’industrie sidérurgique française. Nicolas Mathieu y suit quelques adolescents désœuvrés, désabusés par la décrépitude ambiante. Une telle histoire peut-elle faire un Goncourt ? Oui, ont décidé les jurés. Un roman émouvant, c’est certain, magnifiquement servi par une très belle écriture.

Comme si vous y étiez

Nous voici donc en Lorraine, vraisemblablement dans la vallée des anges (renommée vallée de la Henne dans le livre). N’y voyez aucune allusion paradisiaque, le surnom de l’endroit n’est dû qu’à l’incontournable terminaison des noms des villes environnantes.

Les hauts-fourneaux ont fermé depuis longtemps, laissant sur le carreau son lot d’ouvriers et d’immigrés aigris, souvent chômeurs, parfois brisés au point de s’abrutir dans l’alcool ou la colère.

« L’alcool, à force, devient un organe parmi d’autres, pas moins indispensable. (…) En finir, c’est s’amputer. »

Le genre de livres que je déteste. Les ennuis quotidiens, la réalité sans filtre, pas d’échappatoire, aucun dépaysement. Quand je lis, je veux imaginer d’autres vies, d’autres lieux, d’autres devenirs.

Curieusement, je suis cueillie dès les premières pages.

Peut-être est-ce dû à cette ambiance de fin de siècle qui me rappelle tant la fin de ma propre adolescence ? L’auteur multiplie les références à cette étrange époque, presque comme s’il voulait en dresser la liste exhaustive. Les mobylettes, le Picon et la bière, Diane Tell et Johnny, les mauvaises cigarettes d’antan, Intervilles et Beverly Hills à la télé, les walkmans, l’amiante et les chemisettes…

Chassé-croisé

En réalité, si j’ai tant aimé ce roman, c’est plus probablement lié aux errements maladroits de ses personnages. Anthony, cet adolescent paumé me touche. On le voit évoluer dans ce milieu qu’il ne comprend pas, s’enfoncer graduellement dans les problèmes, tomber amoureux de Stéphanie, la jolie blonde à queue de cheval, malédiction!

Adolescence

Premières amours au bord du lac

 

« Lui se contentait de vivre par défaut, nul au bahut, piéton, infoutu de se sortir une meuf, même pas capable d’aller bien. »

Et puis il se heurte à Hacine, jeune fils d’immigré, à la fois si proche et si différent.

Tous trois ont le même objectif : fuir cette vie morose, faire mieux que leurs parents. Tous trois s’engagent dans des directions opposées. Ils ne cessent pourtant de se croiser au cours des quatre étés qu’évoque le roman. De 1992 à LA coupe du monde, celle du Black, Blanc, Beur, qui ne doit pas manquer de réconcilier les uns et les autres.

À chaque rencontre monte la tension, sexuelle d’un côté, agressive de l’autre.

C’est ce crescendo troublant qui m’a tenue en haleine. Cette attente inquiète d’une nouvelle confrontation, cette envie illusoire de les voir s’en sortir « pas comme dans la vraie vie ».

Leurs enfants après eux est pour vous si :

  • Vous aimez le réalisme cru ;
  • Vous voulez faire un bond dans le passé ;
  • Vous aimeriez mieux comprendre ces phases de transition, d’une époque à l’autre, dans la vie physique et émotionnelle des humains et l’évolution de leurs sociétés.

Difficulté de lecture : **

Le petit plus : une interview de l’auteur à visionner en cliquant sur le lien.

Un autre roman sur la jeunesse torturée, dans un style bien différent : En finir avec Eddy Bellegueule ; Edouard Louis

***

Leurs enfants après eux – Nicolas Mathieu

Éditions Actes Sud, 2018

ISBN : 978-2-330-10871-7

432 pages

Prix Goncourt 2018

Littérature française